[Point de vue] Pas de pain, mais des jeux ! 2023 sera sportif…

baguette

Les émeutes du pain ont souvent amorcé des troubles et des révolutions. On les croyait derrière nous. Avec la fermeture programmée des boulangeries, elles risquent de revenir.

Du pain et des jeux ! La formule de ce bon vieux réac de Juvénal a traversé avec dignité des siècles d’obscurantisme, mais peut-être ne survivra-t-elle pas au XXIe siècle. On a encore des jeux, on n’a même plus que cela, mais bientôt, on risque de ne plus avoir de pain, faute de boulangers. Avec 200, 300, 400 % d’augmentation au 1er janvier sur leur facture énergie, c’est la mise à mort des maîtres du levain. Qui résisterait à une pareille explosion des coûts ? Au moins, dans leur ruine, les boulangers échapperont-ils à la chaise électrique, avec les coupures d’électricité qui s’annoncent, quand bien même le peloton d’exécution aura des allures de peloton d’électrocution. Sur le monument aux morts de la mondialisation, la boulangerie s’apprête ainsi à rejoindre les manufactures de textile, l’agriculture familiale, la métallurgie, les chantiers navals, le nucléaire civil, le Minitel™, rose ou pas, et j’en passe. Une hécatombe industrielle. Suivront les restaurateurs qui tirent le diable par la queue, les hôtels miteux de province en quête de colporteurs et de VRP qui se font aussi rares que les derniers Cheval blanc et Lion d’or.

Alors que la baguette de pain vient de faire son entrée sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, elle s’apprête à disparaître de nos assiettes, comme le béret a disparu de nos têtes et de nos toilettes. Ainsi procède la magie de la mondialisation : par ablation. Deux symboles qui s’en vont. C’en sera fini d’une certaine idée de la France. Les Français seront alors pareils aux Italiens selon Voltaire : un peuple de gardiens de musée. Jusque dans leurs villages. Dans le mien, 550 habitants, il n’y a plus de boulangerie depuis quatre ans. L’ultime auberge fermera le 31 décembre. Autant dire que nous sommes en passe de devenir un village fantôme, entre le dortoir pavillonnaire et le mouroir crépusculaire.

De la start-up nation au modèle amish

Les Anciens rendaient un culte au pain, nous au marché. Ils réservaient leurs premières semailles aux déesses de la fertilité, nous à la spéculation. Ils signaient d’une croix leur pain quotidien avec un couteau avant de se signer. Nous, on saigne les boulangers. Franchement, si avec cela il n’y a pas de nouvelles révoltes frumentaires, c’est à n’y rien comprendre. L’une des dernières remonte à la guerre des farines, au printemps 1775. La guerre de l’électricité risque d’en ouvrir de nouveaux chapitres. Gilets jaunes et épis d’or.

On cherche en vain un début de commencement de politique énergétique en France. Il n’y en a pas. C’est le « modèle amish » brocardé par Macron qui prévaut à Matignon et à Bercy. Les économies de bouts de chandelle : soit le col roulé en cachemire de Bruno Le Maire, la doudoune chic d’Élisabeth Borne, l’étendoir à linge sur la baignoire en marbre de Gilles Le Gendre. Attention : on parle des plus belles intelligences de France. Je cite Bruno Le Maire : « Mon intelligence est un obstacle. » Et Gilles Le Gendre : « Notre erreur est d’avoir probablement été trop intelligents, trop subtils. » Vous vous rendez compte de ce qu’aurait fait Michel Audiard, avec des zozos pareils : il les aurait mis sur orbite géostationnaire à mi-chemin de la constellation de la Métaconnerie et du zodiaque de la Surdébilité.

Notre gouvernement est comme Charles de Rohan, alias le prince de Soubise, qui cherchait son armée en déroute avec une lanterne au soir de la défaite de Rossbach. Cela se passait pendant la guerre de Sept Ans, au milieu du XVIIIe siècle. À l’époque, l’ennemi, c’étaient les Prussiens. Aujourd’hui, tout indique que c’est l’Allemagne, ne nous en déplaise, bien aidée par la médiocrité de nos dirigeants. L’audition d’Henri Proglio, ex-patron d’Électricité de France, j’ai nommé EDF, devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en fournit la preuve accablante. Ce n’était d’ailleurs pas une audition, mais une oraison funèbre du Grand Siècle, Bossuet penché sur le corps d’Henriette d’Angleterre. Madame Électricité de France se meurt, Madame Électricité de France est morte. « La transition énergétique allemande s’est transformée en catastrophe absolue », dixit Proglio. Et d’enfoncer le clou : « Comment voulez-vous que ce pays [l’Allemagne], qui a fondé sa richesse sur son industrie, accepte que la France dispose d’un outil compétitif aussi puissant qu’EDF ? » Comment ? En démantelant le géant français pour le transformer en une sorte d’« Autriche-Hongrie rabougrie » avec un parc nucléaire en voie de soviétisation avancée. Sur sa lancée, Proglio recommande de sortir du marché européen de l’énergie, à la suite de l’Espagne et du Portugal. Nous n’en prenons pas le chemin. Depuis dix ans, le gouvernement ouvre des pistes cyclables et ferme des centrales. Autant financer des voitures électriques… sans électricité.

Mourir pour Zaporijjia

La stratégie de la France, c’est qu’il n’y a pas de stratégie, sinon la soumission aux délires éoliens des Verts, la subordination aveugle à l’Allemagne et l’alignement idéologique sur Bruxelles. Si gouverner, c’est prévoir et pouvoir, on n’aura eu ni l’un ni l’autre. Rien qu’une suite de mauvaises décisions et d’indécision qui nous auront conduits au bord de la rupture d’approvisionnement. Nul dans l’anticipation du risque, nul dans la prise de décision, nul dans la gestion de crise. La manne du gaz russe a longtemps masqué ces défaillances en série. La Russie, c’est 40 % du gaz utilisé dans l’Union européenne. On peut s’en priver, mais s’en priver, c’est accepter de vivre dans une chambre froide les mois d’hiver. Or, loin des plateaux de télévision, les gens ne veulent pas se grelotter pour la défense de Kherson ou la centrale de Zaporijjia, pas plus qu’ils ne voulaient, hier, mourir pour Dantzig. Surtout quand les factures explosent et les revenus stagnent.

Voilà où nous a menés une élite exclusivement régentée par les lois de la consanguinité et de l’entre-soi. La cooptation du même par le même, partout. Dans les grandes écoles, dans les ministères, dans les médias centraux, dans les institutions. On ne peut en ouvrir les portes qu’à la condition de psalmodier le discours dominant, seul légitime, celui de l’ouverture sans restriction, sauf au cœur de ladite élite, elle, totalement verrouillée. Tout ce qui dépasse est étêté. Le critère de sélection, c’est une médiocrité de bon aloi, radieuse et décontractée dans le prêt-à-porter de son confort intellectuel. Bref, l’uniforme de l’uniformité. En voir un, c’est les voir tous ; en entendre un, c’est les entendre tous. On sait sur quels boutons appuyer – pour qu’ils s’indignent, pour qu’ils se pâment d’admiration, pour qu’ils capitulent. Zéro pointé, on l’a dit. Au moins Néron, devant Rome qui brûlait, déclamait des vers en jouant de la harpe. Macron, lui, enlace lascivement Kylian Mbappé et Bruno Le Maire poste sur son compte Instagram le roman-photo de sa collection hiver de moufles et cols roulés en nous expliquant qu’il va provoquer l’effondrement de l’économie russe. On y croit.

Le petit mitron, c’est le petit Macron

Certes, il faut se méfier des comparaisons par-dessus les siècles, mais les points communs ne manquent pas entre la libéralisation du commerce du grain sous l’Ancien Régime et la libéralisation du marché de l’énergie en Europe. Même vœu pieux, même intentionnalité libérale, même acharnement à se tromper. Dans les deux cas, il s’agissait de supprimer la réglementation pour favoriser la libre circulation – des grains ou de l’énergie – dans l’espoir que les prix baissent. Dans les deux cas, ils ont augmenté, sous les ministres Choiseul et Turgot, sous les ministres Borne et Le Maire. Dans les deux cas, une cause extérieure est venue amplifier les problèmes : les mauvaises récoltes ou la guerre en Ukraine. Résultat : à la veille de la Révolution, les émeutes de la faim se succèdent. Elles ne suffiront pas à faire la Révolution, mais elles ressemblent rétrospectivement à un coup de semonce. « Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron », braillaient les Parisiennes quand elles allèrent chercher la famille royale à Versailles en octobre 1789. Le petit mitron, aujourd’hui, c’est le petit Macron.

François Bousquet
François Bousquet
Rédacteur en chef d’Éléments et directeur de la Nouvelle Librairie

Vos commentaires

33 commentaires

  1. Très bonne analyse mais pour autant ça ne fera pas bouger les choses. Plusieurs dizaines de boulangers ont déjà tiré la porte et d’autres s’apprêtent à le faire…. et voyez vous quelque chose bouger ? Même les clients qui vont se voir privés de pains ne bougent pas trop occupés certainement à suivre la coupe du monde de foot tant décriée par ailleurs !

  2. Bonjour Juste une citation
    « Trouvez simplement ce qu’un peuple est prêt à subir en silence, cela vous donnera la mesure exacte de l’injustice et du mal qui lui seront imposés, et cela continuera jusqu’à ce que se manifeste une résistance par les mots ou la violence, ou les deux. Les limites des tyrans sont fixées par l’endurance de ceux qu’ils oppriment. » Frédérik Douglass

  3. Reste que le petit Macron comme vous dites, il faudra le trouver il est toujours sur un autre trottoir du monde avec l’argent qui n’est pas le sien. Plus d’un demi million de dépenses pour le Foot au Qatar et cela ne dérange personne, qu’est-ce que cela va être pour les JO ! et pendant ce temps là la Dette enfle, ils vendent des biens et des entreprises publiques et là non plus cela ne dérange personne et moins encore la majorité des médias qui certainement comme beaucoup d’autres sont incapables d’évaluer la Dette Macron et ses conséquences.

    • J’adore votre optimisme en pensant pouvoir un jour envoyé macron devant un tribunal ! Ca doit bien l’amuser ! Chirac aurait dit : » çà m’en touche une sans faire bouger l’autre ».

  4. Excellent.
    Malheur au pays qui a mis un enfant sur le trône, et qui passe son temps à jouer et à raconter des histoires à dormir debout, venues d’ailleurs…
    1789, et 1870, 1914, 1940, 2022….Les 4 dernières, il faut voir de l’autre côté du Rhin avec l’U.S. qui a fait son choix de priorité

  5. Le savoir-faire des boulangers francais est très apprécié à l’étranger, même aussi loin que le Sud-Est asiatique. Pourquoi rester dans un pays où il devient impossible de travailler ? Quelle tristesse, cet exode des forces vives du pays et simultanément, cette arrivée massive et continuelle de nouveaux parasites qui n’ont que leurs haines tribales et leurs rancoeurs religieuses à nous proposer …

  6. La semaine dernière à Portimão (Portugal) j’ai payé le Gas-oil pour mon véhicule 1,514. Et en FRANCE à combien est-il ?
    A croire qu’un petit Pays nous démontre que parfois il faut se désolidariser de l’Europe. Vous savez, les Français ont eu parfois, et c’est même dans leur habitude de se croire le nombril du monde. Ils se trompent. On parle de la numérisation, peut-être dans les grandes villes, et en encore, alors qu’au Portugal la fibre est partout, pays montagneux tel que l’Espagne et pourtant le portable passe partout. De chez moi pour aller à Bayonne ou à Pau une 60 kms environ 90% du trajet pas de réseau téléphonique. C’est bien. Depuis 15 jours pas de WIFI à St Palais, qui dit mieux. MR. BRUNO LE MAIRE, un jour tout va très bien, notre économie est la meilleur d’Europe, puis soudain il faudra se serrer la ceinture. Un jour faste, un jour catastrophique. Comment peuvent-ils nous gouverner, connaissent-ils la boussole ? J’en doute. Si c’est eux les élites, sans vergogne je suis Dieu. Peut-être que demain ils pourront se payer la baguette à 7 ou 8 euro, pas nous.

    • Eh oui ! Indispensable de le crier haut et fort car côté Médias à la botte du Pouvoir défaillant depuis des lustres, pas question d’en parler au risque de réveiller les foules gavées aux « chèques en vous », foot â gogo et jeux d’argent de toutes sortes !
      Nous n’allons pas droit dans le mur, nous avons le nez dedans et en léthargie absolue, continuons à nous soumettre à la politique suicidaire du Macron, faisant suite à celle du gugus au scooter.
      Quand la population va-t-elle virer à coup de 49.3 tous ces incapables qui affament les Français ?

  7. Nous voilà revenus au temps de la Plèbe romaine avec les jeux du cirque où l’on donnait la mort et du pain pour contenir le peuple. Tout cela pour la grande gloire d’un empereur romain. Mais n’est pas empereur qui veut.

  8. Les boulangers utilisent depuis plus de vingt ans des farines raffinées et trafiquées, faciles à manipuler (elles ne collent pas aux mains), mais dont les molécules de gluten sont tellement longues qu’elles créent de multiples allergies et intolérances. J’ai demandé au mien et à d’autres d’utiliser des farines traditionnelles. Refus. En conséquence de quoi, je fais à présent mon pain moi-même: il est bien meilleur, plus nourrissant (farines complètes) et je n’ai pas faim au bout d’une heure. En bonus, j’ai perdu du poids. Donc, j’ai cessé d’aller en boulangerie. Si elles disparaissent, ça ne changera pas ma vie. En amont, tous ceux qui ont pendant des décennies trouvé de bonnes raisons de fournir des produits standardisés de mauvaise qualité, sans jamais vouloir réformer leurs méthodes, vont se retrouver le bec dans l’eau faute d’engrais et de pesticides, indispensables pour ce type de culture sans réelle valeur ajoutée. Comme disait Warren Buffet, c’est quand la marée descend qu’on voit qui porte un slip.

    • Pas faux votre réflexion ! En effet, c’est un miracle de réussir à trouver un artisan boulanger digne de ce nom qui, par amour du bon pain, n’envisageait pour rien au monde de ne pas utiliser de farine de blé ancien « courts sur pieds » et surtout incorporer du levain à sa pâte. Pour ma part, bien qu’en résidant en campagne bretonne, c’est mission impossible, que du pain insipide même pas bon et ne dégageant aucune odeur.
      Les boulangers doivent se remettre en question aussi ; si leur pain est bon, ils le vendront même plus cher !

      • C’est exactement ce que macron veut faire: diviser les français … Et vous le faites très bien …L’article parle d’énergie et de disparition et vous parlez de « qualité » du pain … macron est ravi de ce genre de « prise de positon » … Vous regardez le doigt alors que c’est la lune qu’il faut observer ! …
        La « qualité » alimentaire certes mais l’incurie de macron va bien au delà de cela …. Ce coucou politique vient de prouver avec ses 2 déplacements au Qatar … et surtout son ingérence dans les vestiaires et sur le terrain …. à quel point il est venimeux dans tout ce qu’il fait ! …
        Stop ou encore ? …

    • Entièrement d’accord avec vous, mon fils sorti de l’armée reconverti boulanger artisanal ne travaille que de la farine tradition.
      Avec passion il sait perfectionner, mais en France la majorité aime employer des gens à bas coût donc il parcourt le monde de boulangeries de luxe en hôtel 5*, sa place il la cède aux chances arrivées d’Afrique.

      • Oui, et le problème, c’est que la France ne peut pas se permettre de produire de la médiocrité aux coûts de revient de la main d’œuvre, qui même au SMIC est hors de prix. C’est vrai non seulement dans la boulangerie, mais dans tous les secteurs. Un boulanger qui produit des baguettes en carton-pâte et achète de la pâtisserie congelée ne peut s’en prendre qu’à lui-même, si un jour un Leclerc, Lidl ou autre s’installe à côté et propose des baguettes tout aussi mauvaises mais à un prix nettement inférieur. Les poulets en batterie made in France seront toujours plus chers que ceux venant du Brésil, et ainsi de suite.
        Les Allemands et les Suisses l’ont compris depuis longtemps: ils vendent de la qualité, et tous leurs clients savent qu’ils payeront plus cher, mais en auront pour leur argent.
        La contradiction de la politique française, c’est d’importer de la main d’œuvre bas de gamme et corvéable à merci du tiers-monde pour en faire des livreurs clandestins (c’est indispensable pour se faire livrer à domicile quasi-gratuitement), tout en faisant fuir les plus qualifiés qui sont seuls susceptibles de préparer l’avenir, après avoir dépensé une fortune pour les former.

  9. Le petit macron, il y a peu, nous annonçait la fin de l’abondance. Il ne semble pas savoir que pour beaucoup de Français, l’abondance a disparu depuis un bout de temps. Mais comment le saurait-il, lui qui vit dans un palais, entouré de domestiques, lui qui n’a pas à se soucier du prix des choses, lui qui va deux fois au Qatar dans la même semaine. Visiblement, la caste n’est pas en situation de sobriété subie, pour reprendre les mots de Mme Pannier-Runacher.

  10. Tout ça, ça fait longtemps que tout le monde le sait, et du reste les manœuvres des politiques aux commandes sont à peine dissimulées.
    Celà n’a pas empêché les français de voter majoritairement pour Macron!
    Alors inutile de pleurer sur le résultat !

  11. Plus de pain , plus de chauffage , plus de soins , plus d’histoire , plus de sécurité nul part , plus de sapins et de crêches bientôt plus d’agriculteurs et d’entreprises et j’en oublie . Allons nous laisser faire et subir encore longtemps cette destruction ou les français vont ils enfin comprendre que l’heure est grave et qu’il va falloir destituer ce clown au plus vite .

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