Dans ses vœux aux armées prononcés sur la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan, Emmanuel Macron a consacré l’essentiel de son discours au projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 qui sera prochainement débattu à l’Assemblée nationale. Succédant à une LPM dite de « réparation » pour la période 2019-2025, le gouvernement prévoit de mettre 413 milliards d’euros sur la table pour une LPM de « transformation ».

Après une longue introduction consacrée aux menaces et aux défis qui sont devant nous, le président de la République a tracé les quatre grands axes de la prochaine LPM. D’abord, renforcer le cœur de notre souveraineté avec, au premier chef, la modernisation de notre outil de dissuasion nucléaire. Il promet un effort marqué dans les domaines du renseignement, du cyber et des réserves opérationnelles. Deuxièmement, le Président veut faire évoluer notre modèle d’armée vers le combat haute intensité avec la confirmation de deux programmes d’armement majeurs, le futur porte-avions nouvelle génération (PANG) et le système de combat aérien du futur (SCAF) auxquels il faut ajouter un inventaire des capacités aujourd’hui insuffisantes, drones et systèmes de défense sol-air en particulier. Troisièmement, le Président entend développer notre capacité d’influence et de « défense des espaces communs » avec le renforcement de notre puissance spatiale, un effort sur les territoires outre-mer et la protection des fonds marins. Enfin, il souhaite renforcer nos partenariats internationaux pour mettre la France en position de commander une grande coalition.

L’affichage est ambitieux tout comme la volonté réformatrice mais, faut-il le souligner, une loi de programmation a pour objet de traduire en programmes et donc en prévision budgétaire une politique de défense, sans se contenter d’un inventaire à la Prévert. Certes, la volonté de ne pas accentuer notre dépendance déjà forte vis-à-vis des États-Unis est perceptible : le rôle de la dissuasion nucléaire dans la sécurité collective européenne évoqué en 2020 ne semble plus à l’ordre du jour. L’expression « ne pas être prisonnier de grandes rivalités entre tiers » souligne de façon implicite la volonté de ne pas se laisser entraîner dans la confrontation à venir entre les États-Unis et la Chine actuellement engagés dans une guerre économique sans merci.

Mais sur le ton, on reste quand même loin du général de Gaulle déclarant sans ambages, le 21 février 1966, dans une conférence de presse à l’Élysée, sa décision de quitter le commandement intégré de l’OTAN et de « rétablir une situation normale de souveraineté ». Or, c’est pourtant de cela que la France a fondamentalement besoin aujourd’hui : elle doit rétablir une situation normale de souveraineté - situation qui n’a cessé de se dégrader depuis la politique atlantiste de Nicolas Sarkozy dont le symbole fut le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009.

Notre souveraineté est aujourd’hui largement obérée par notre dépendance énergétique et industrielle, l’état lamentable de nos stocks stratégiques et la tutelle exercée par les Américains sur les pays européens dans ou en dehors de l’OTAN. Ce discours est donc aussi source de nombreuses interrogations qui devront être levées dans les semaines ou les mois à venir :

  • quid de l’impact du service national universel sur les armées dont la contribution, pour l’instant limitée, pourrait être revue sérieusement à la hausse ?
  • quid de notre présence en Afrique de plus en plus remise en question ? Il se murmure dans les états-majors que l’armée française pourrait réduire le nombre de ses bases.
  • quid de la reconstitution de nos stocks stratégiques, notamment de munitions ?
  • quid du financement du doublement de la réserve opérationnelle dont tous les gouvernements depuis Jacques Chirac ont proclamé l’importance sans jamais la doter d’un budget à la hauteur de l’enjeu qu’elle représente ?
  • quid de l’adaptation de notre industrie de défense, sommée de se réorganiser en « économie de guerre » sans cadre législatif ad hoc ?

Par ailleurs, la future LPM ne tire pas toutes les conséquences de la guerre en Ukraine, notamment la nécessité de disposer de forces conventionnelles, terrestres en particulier, suffisamment dimensionnées, bien équipées et bien entraînées pour soutenir un conflit dans la durée sous le « seuil » nucléaire. Elle ne transforme donc pas véritablement notre outil de défense mais le modernise tout au plus sans aller vraiment au cœur du sujet : sa capacité à concevoir et développer un outil militaro-industriel « élastique » pour ne pas dépenser inutilement en temps de paix tout en étant capable de remonter rapidement en puissance en cas de conflit.

Enfin, la suspension du service national par Jacques Chirac en 1996 a supprimé un mur porteur de la défense nationale, le système de réserve censé le remplacer n’ayant jamais vu le jour. L’industrie de défense privatisée, obligée d’exporter pour survivre et tournée vers la haute technologie, a perdu sa capacité à produire des matériels et des munitions de façon massive et autonome. Reste un « modèle d’armée » taillé au plus juste, équipé de matériels toujours plus coûteux et donc en nombre toujours plus réduit. Un dispositif conçu pour la gestion de crise, la « gesticulation stratégique » et les conflits de basse intensité en Afrique mais totalement inadapté à un conflit de haute intensité type Ukraine. C’est cet outil militaro-industriel qu’il faudrait remettre en question aujourd’hui, non pas avec des injonctions comme « l’économie de guerre », mais avec des actes.

3314 vues

31 janvier 2023 à 15:12

Partager

Pas encore abonné à La Quotidienne de BV ?

Abonnez-vous en quelques secondes ! Vous recevrez chaque matin par email les articles d'actualité de Boulevard Voltaire.

Vous pourrez vous désabonner à tout moment. C'est parti !

Je m'inscris gratuitement

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.

26 commentaires

  1. Contrairement à ce l’on tente de nous faire croire, la Russie ne nous menace pas d’invasion. La guerre en Ukraine est la réaction à une provocation de ce que l’on appelle « l’État profond américain ». L’OTAN est devenu en une sorte de Pacte de Varsovie inversé.
    Il serait temps de passer de l’obsession de la ligne bleue des Vosges à l’appel du grand large.
    La France est en effet le seul pays européen ayant conservé des possessions outre mer où le soleil ne se couche jamais. Elle possède le second espace maritime du globe. Il importe qu’elle mette enfin en cohérence sa géostratégie et sa géopolitique, plutôt que toujours coller au standard européen.

  2. Politique de communication essentiellement. L’Etat est à la poursuite de toutes les réformes à faire dans tous les domaines de la société, comme le gendarme l’est du voleur, c’est-à-dire toujours quand le mal a été fait, et toujours en retard d’une bonne longueur. Etape après étape, si nos gouvernant parviennent enfin à bien analyser leurs échecs des évènements passés pour en tirer des leçons, ils sont à nouveau en retard sur la guerre suivante qui se profile par incapacité de s’y projeter valablement.

  3. Sur les 73 canons caesar 18 ont été donnés à l’Ukraine et 12 de plus vont partir. Si c’est cela qu’on appelle renforcer notre capacité je veux bien être nommé Pape et pas Ndiaye.

  4. Notre pauvre Armée est à « l’os » ! Ce n’est qu’un sparadrap sur une jambe de bois qui ne comblera même pas les amputations dont elle a fait l’objet .

  5. Il est vrai que commencer par vendre les fleurons de l’industrie française pour ensuite anéantir l’économie grâce à la destruction organisée de nos moyens de production d’électricité constituent une base solide sur laquelle s’appuyer pour trouver de quoi financer la hausse des budgets militaires.
    Mais, bon, depuis bientôt 50 ans nous sommes dirigés et administrés par des gens très intelligents et très bien payés, et même très coûteusesement conseillés, qui ont ce savoir faire inégalé consistant à gérer la France exactement comme le feraient M. et Mme Michu, surendettés après avoir acheté tout et n’importe quoi, et surtout le plus inutile possible, au télé achats.

  6. Disons que nous avons à ce jour une défense de miséreux, nous pourrions sans doute résister à une attaque de Monaco, mais pas d’ambition au delà.

  7. On n’aura à nouveau une vraie capacité militaire et de dissuasion si nous redevenons enfin riches et donc d’abord enfin libres de protéger et développer notre économie

  8. Avec sa « drôle de guerre » qu’Emmanuel Macron veut financer en Ukraine en se prenant pour un Américain, les budgets militaires vont s’envoler si loin qu’on se demande bien où et quand ils vont atterrir.

  9. Et toujours pas de force d’intervention rapide pour libérer les cages d’escaliers d’immeubles tenues par des des éléments étrangers.
    Commençons à balayer notre perron avant « de projeter » des unités pour aider les potentats africains.
    Faisons respecter nos femmes et nos enfants » à la maison » par la création d’une force de Macronjugend l’intendance suivra après la pacification .

  10. Tout se résume au 14 juillet 2017:  » C’est moi le chef!  » déclama-t-il. Preuve d’un investi à une fonction qui le dépasse.
    Rien à attendre de bon de ses indécisions hasardeuses.

  11. Il serait intéressant de savoir ce qu’en pensent les militaires, car comment faire confiance à un as de la finance qui nous a ruiné.

  12. Comment peut on le croire lui qui provoque la Russie et désarme ce pays au profit d’un grand clown malade . A l’heure actuelle la France ne tiendrait pas 8 jours face à une attaque . Remarquez qu’en confisquant les armes dans les banlieues on peut tenir un peu plus longtemps . Plus aucune confiance en cet incapable destructeur .

    1. ++++++bravo c’est bien vrai .le petit petit chef de guerre ne nous a pas encore tout dit ,tout fait ..le pire est à venir .

  13. discours dans la lignée macronienne du ‘j’annonce » mais je ne fais rien ». 400 milliards en 6 ans , environ 650 millions par an, quand on voit l’état de nos armées, et qu’on distribue le peu d’armement valide aux autres pays, on aurait tendance à dire « chante beau merle, les cerises ne sont pas mures ». Il a viré l’homme sensé de l’armée en 2017, le général De Villiers, qui demandait un budget conséquent pour redresser nos forces armées, nous sommes en 2023, 6 ans après, rien n’a été fait, et son annonce est pour 2024 s’étalant jusqu’à 2030, perte de 8 années. Le scaf en coopération bizarrement avec les allemands qui prendront les travaux de Dassault et s’accapareront l’avion ensuite, asservis aux allemands et à l’OTAN, il faut sortir de cette prison et retrouver notre autonomie.

Les commentaires sont fermés.