[Point de vue] Le mur de la bien-pensance énergétique est-il en train de s’effondrer ?

gaz de schiste

Quand on est forcé par les faits, on est obligé (tout en disant généralement le contraire !) de s’asseoir pour un temps sur ses croyances idéologiques. La crise énergétique apparue sournoisement à l’été 2021, puis frappant de plein fouet l’Europe depuis le déclenchement du conflit russo-ukrainien, est en train de sonner le glas de la religion climato-gauchiste. N’en déplaise au prophète Hulot, qui nous avait annoncé que le coronavirus devait être compris comme un « ultimatum de la nature » et que « le temps était donc venu » de marcher vers un « nouveau monde sans mensonge, résistant à la fatalité mais créant du lien, misant sur l’entraide, honorant la beauté du monde en nous réconciliant avec la nature », entre « la fin du mois et la fin du monde », la majorité des Français a tranché.

L’embargo sur le gaz russe associé aux prix stratosphériques du gaz naturel oblige les Allemands à modifier à la hâte leur stratégie énergétique. Fermant fin 2022 leur dernière centrale nucléaire, leur seul choix à court terme est de se tourner à nouveau massivement vers… le charbon. À moyen terme (horizon de trois à cinq ans), ils construiront un terminal de gaz naturel liquéfié bloqué depuis dix ans par les Verts. Comble de l’hypocrisie, ils ont aussi décidé, en collaboration avec les Pays-Bas, de relancer un projet controversé de forage gazier en Frise orientale. Bloqué depuis près de dix ans, le permis a été débloqué… en deux jours à peine.

En France, sans bien évidemment le reconnaître, Emmanuel Macron et ses sherpas préférés ont également changé leur discours à 180°. De la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires à l’horizon 2035, on est passé au grand carénage de l’existant et à la construction programmée (mais non encore inscrite dans la loi) de quatorze nouveaux réacteurs EPR. La France importe aussi massivement, depuis l’été, le « diable absolu » sous forme de gaz de schiste américain.

Le Royaume-Uni a, quant à lui, levé la semaine dernière le moratoire sur le « fracking », relançant ainsi implicitement le possible développement des gaz de schiste outre-Manche. Le secrétaire d'État à l'Énergie Jacob Rees-Mogg a justifié cette décision en invoquant les besoins énergétiques du pays : « Le renforcement de notre sécurité énergétique est une priorité absolue et cela passe par des nouvelles sources de gaz domestique. » Technique d’extraction controversée, la fracturation hydraulique avait été interdite en 2019 sous la pression des écologistes par suite d’un microséisme (2,3 sur l’échelle de Richter) induit à Blackpool sur le site de la société Cuadrilla. Bien qu’un tel séisme soit imperceptible (une rame de métro traversant Paris induit en permanence des microséismes d’intensité 3 sur l’échelle de Richter !) et ne présente aucun danger pour les populations, l’incident fut instrumentalisé outre-Manche comme la thématique des gaz de schiste le fut en France.

Nous avions, en 2014, décortiqué dans Gaz et pétrole de schiste... en questions la manipulation grossière du film Gasland et de son robinet en feu qui enflamma l’imagination collective. Qui se souvient encore de l’instrumentalisation du débat entretenu par José Bové, député européen écolo à l’époque ? Qui se souvient de la position de Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, qui voulait « examiner juridiquement la façon d’interdire l’importation de gaz de schiste américain », dénonçant un contrat passé entre Engie et l’entreprise américaine Cheniere en vue de la fourniture de GNL américain ? Qui se souvient de la déclaration solennelle de François Hollande (« Tant que je suis Président, il n'y aura pas d'exploration de gaz de schiste ») ; exploration et non exploitation… nous n’étions même plus autorisés à regarder ! L’ancien Président, qui a « solennellement appelé à arrêter d’acheter du gaz russe », ferait bien de balayer devant sa porte !

Il faut reconnaître qu’à l’époque, l’opposition sociétale n’était pas le seul frein à l’exploitation des gaz de schiste en Europe. L’effondrement des cours des hydrocarbures en 2015 rendait leur exploitation non économique. Convaincus de cette non-économicité et ne souhaitant pas dégrader leur image, la plupart des acteurs privés et publics s’étaient alors retirés. Les contextes sociétal (impasse avérée du 100 % renouvelable, croissance de la demande gazière) et économique (prix stratosphériques du gaz) ont évidemment complètement modifié la donne. Faut-il pour autant rouvrir le dossier gaz de schiste ?

En 2013, l’Agence américaine de l'Énergie avait établi en première approximation que l'Europe recelait dans son sous-sol 15 trillions de mètres cubes de gaz de schiste, dont 20 % (soit 2.500 milliards de mètres cubes) seraient exploitables. Le scénario de développement conduisait, après une dizaine d’années, à une production annuelle de l’ordre de 160 milliards de mètres cubes, soit exactement… les importations russes 2021. En d’autres termes, le développement des gaz de schiste en Europe aurait pu nous libérer totalement du carcan russe. Pour satisfaire cet objectif, il aurait fallu forer 50.000 puits avec une empreinte au sol de l’ordre de 500 km2 (soit l'équivalent du lac de Genève). Quant à la quantité d’eau nécessaire pour effectuer la fracturation hydraulique, elle était comprise entre 500 millions et 1 milliard de mètres cubes, une « goutte d’eau » à l’échelle européenne quand on compare aux 30 milliards de m3 consommés en France chaque année et dont 20 % (soit 6 milliards de mètres cubes)… fuient dans la nature.

Pour une Europe aujourd’hui figée dans sa bien-pensance climato-gauchiste, relancer les gaz de schiste correspondrait évidemment à un total changement de paradigme. D'interdiction en moratoire et d'hésitations en contradictions, l'Europe est en train de passer à côté de sa révolution énergétique, aussi bien sur le gaz que sur le nucléaire. Déjà fortement affectée par la crise du Covid-19, l’économie européenne pourrait s’effondrer dans les prochaines années face à des concurrents américains bénéficiant d'une énergie 15 fois moins chère. L'indépendance énergétique américaine retrouvée montre qu'il n'y a pas de fatalité au déclin.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 27/09/2022 à 8:39.
Philippe Charlez
Philippe Charlez
Chroniqueur à BV, ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, expert énergies à l’institut Sapiens

Vos commentaires

32 commentaires

  1. Désolé, mais pour ma part je ne partage pas cet engouement pour l’exploitation du gaz de schiste. J’habite le sud de l’Ardèche, localisation géographique qui avait été pressentie il y a quelques années comme terrain très favorable à cette exploitation. L’idée, avec l’arrivée de Hollande avait été abandonnée. En dehors de la vigne et du fromage de chèvre, l’Ardèche du sud vit essentiellement du tourisme. Je ne suis pas certains que la multiplication des puits de forage au pied de nos magnifiques collines cévenoles constitue un plus en matière d’attractivité touristique… Il y aura des choix douloureux à faire.

  2. Si ce que vous dites est exact, ne pas oublier qu’en France nous avons des élections en permanences, et que cela obligent nos grand penseurs politiques ou disons profiteurs des con-tribuables, à changer de veste chaque fois.
    Dutronc père et fils ont je crois à fort bon escient, repris la chanson « Je retourne ma veste », en plein dans l’actualité politique de ce pays.
    Les « pastèques » comme les appellent certains, aiment surtout la pollution chez les autres pour dire que chez eux l’écologie est en avance, ou assouvir leur idéologie. Voir les voitures électriques et les autres « véhicules à batterie » construites dans des pays qui n’ont aucune « fibre écologique » mais une « fibre sonnante et trébuchante » ou celle du compte en banque comme vous préférez !

  3. Volonté de ne plus faire appel au gaz Russe, remplacer les centrales nucléaires par des éoliennes (produites outre Atlantique alors Alstom avait construit une usine de production) le tout pour une histoire de guerre en Ukraine dont nous entretenons fort efficacement, sous une idéologie de faire peur aux populations en prétendant qu’un jour nous retrouverons les chars Russes à Brest, une image, nous sommes en train de faire s’écrouler notre économie qui ne se relèvera jamais, au grand profit des états unis.

  4. Le bon sens – à une époque énergivore – aurait dû nous mener vers une progression modernisée du nucléaire dans l’attente de l’hydrogène qui tôt ou tard sera un complément à nos besoins. Au contraire le miroir aux alouettes a fonctionné à chaque élection – Hollande qui se cache mais est le principal responsable de la situation, son dauphin Brutus déconnecté de la réalité – sans regarder du côté de l’Allemagne dont les « écolos » qui en fait n’en ont que le nom se gardent bien de parler : destruction de régions entières, déplacement de villages, fermes et autres et pour finir dépendante à nos dépends de Poutine et de centrales à charbon, tous ces gens là nous ont mené droit dans le mur et ils ont encore le culot de parader sur les plateaux de TV. Est-ce que les français – ce qu’il en reste – se réveilleront un jour ?

    • « dans l’attente de l’hydrogène qui tôt ou tard sera un complément à nos besoins.  » Vous pouvez toujours rêver. La production d’hydrogène nécessite deux fois plus d’énergie qu’il ne peut en fournir. La grossière propagande actuelle en sa faveur masque mal son véritable but : détourner le maximum d’argent public au bénéfice de quelques copains. Exactement comme pour les éoliennes.
      Pour le reste, vous avez amplement raison.

  5. Merci pour ces rappels concernant les nombreuses responsabilités de tous ces médiocres qui nous gouvernent depuis tant d’années.
    En 1973, Pierre Messmer, alors premier ministre, décida de lancer la construction de 12 centrales nucléaires pour faire face au choc pétrolier.
    En 2022, Elisabeth Borne, première ministre, décide de lancer le plan vélo après s’être vantée d’avoir fermé Fessenheim.
    Je pense que cette comparaison résume assez bien notre dégringolade !

  6. Nos « amis » écolos veulent sauver une planète qui ne leur à rien demandé en détruisant la civilisation. Ce qui revient à un crime contre l’Humanité, une raison suffisante pour dissoudre les Verts et assimilés, il me semble…

    • Sauver la planète n’est qu’un prétexte, uniquement destiné aux médias, meilleurs propagandistes patentés. Leur véritable but, en bons trotskistes, est la destruction de notre civilisation. Par quoi la remplacer? On verra, si l’islam nous en laisse le loisir.

  7. Et pour nos chères voitures électriques , le cuivre au Chili, le lithium en Australie , le nickel en Indonésie, le cobalt au Congo. Tout cela extrait du sol dans des conditions écologiques souvent épouvantables et transporté dans des cargos brulant un mazout écologiquement horrible.

  8. demandez aux citoyens americains ce qu’ils pensent du gaz de schiste qui pollue les nappes phreatiques et detruit les sols !

  9. Ce sont « les experts énergétiques », les pseudos « écolos » et les politicards venimeux qui ont fracassé l’énergie nucléaire en France et dans le monde. Les charognards viennent maintenant dirent ( selon leur responsabilité et leur culpabilité )  » Je vous l’avais dit ou je ne suis pas responsable ou je ne suis pas coupable; Au final, tout comme dans de très ( trop ) nombreux domaines, la France n’a plus aucune compétence ou souveraineté qui faisait sa « grandeur » aux yeux du monde entier …

  10. On a l’impression que ce qu’ils mettent en commun, ces chefs d’état et de gouvernement c’est surtout leur conn…pardon leur manque de discernement.

  11. Allez voir aux US les dégâts sur le paysage la terre la faune la flore par ces machines perfectionnées d’extraction du gaz de schiste et demandez aux riverains ce qu’ils en pensent. Le territoire américain ne peut comparer son étendue avec celui de la France des villages , nous sommes déjà défigurés par des éoliennes meurtrières dans nos prairies et jusque dans la mer.
    Incapables d’arrêter l’expansion du modernisme nous courrons à notre perte en gâchant notre environnement.

  12. Pas besoin d’avoir appris le catéchisme vert pour redouter le charbon teuton ni le gaz de schiste d’USA qui nous coûtent si cher et polluent si bien . Pourtant les écolos sont muets sur ces sujets et préfèrent se délecter des éoliennes si rentables pour l’étranger . Voila pourquoi Sardine Ruisseau s’époumone et s’agite devant les mâles barbecues et autres niaiseries : faire oublier que notre stupide guerre contre Poutine nous expose à des pénuries dramatiques et des pollutions majeures mais supportables puisqu’elles sont démocrates

  13. Si , Monsieur , il y a bien une fatalité au déclin , c’est l’obstination aveugle des électeurs à donner le pouvoir , élection après élection , aux mêmes démolisseurs .

    • Pas exactement la détruire, simplement transformer ses peuples en consommateurs béats. Après tout, ce sont eux qui ont créé l’Europe, par l’entremise de Jean Monnet, et dans ce seul but.

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