[Entretien] D. Mkrtchyan et D. Lescaillez : « Le conflit arméno-azerbaïdjanais oppose une jeune démocratie à une des pires dictatures qui soit ! »
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Pour tenter de comprendre le drame qui se joue en Arménie, nous avons interrogé Diana Mkrtchyan et Denis Lescaillez, responsables de l'association culturelle arménienne Arevik en France qui s'étaient déjà exprimés dans nos colonnes lors de l'invasion du Karabagh.
Sabine de Villeroché. Que se passe-t-il en Arménie ?
Diana Mkrtchyan et Denis Lescaillez. Les nouvelles qui nous parviennent d’Arménie sont alarmantes. Au niveau intérieur, le pays connaît d’importantes difficultés économiques et le climat politique est très instable. Mais c’est la menace extérieure qui occupe les esprits. Cette menace militaire a toujours pesé sur l’Arménie depuis l’indépendance de 1991, mais depuis la défaite des Arméniens au Karabagh en 2020, c’est désormais le territoire de la République d’Arménie lui-même qui est à portée des canons azerbaïdjanais.
Depuis la fin de la guerre de 2020, la population arménienne s’attend à une nouvelle offensive azérie car l’Azerbaïdjan n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait à l’issue des 44 jours de combats, interrompus in extremis par l’intervention russe. Les dirigeants azéris réclament non seulement le dernier quart du territoire du Karabagh qui est resté sous contrôle arménien, mais exigent également la création d’un corridor au sud du territoire de la République d’Arménie afin de relier l’exclave du Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan. Les déclarations belliqueuses de l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’Arménie se multiplient, mettant en doute l’existence même des frontières de l’État arménien.
Le 13 septembre, l’armée azérie a attaqué les installations militaires arméniennes dans les provinces du sud et de l’est et a bombardé plusieurs villes, dont la ville thermale de Djermouk. Les habitants se sont mis à l’abri ou ont été évacués.
Des images atroces de torture et de mutilation de cadavres de prisonniers arméniens, dont celles d’une femme soldat, ont été diffusées sur les médias sociaux. En laissant commettre ces crimes de guerre, l’armée azerbaïdjanaise ne fait que confirmer ses intentions à l’égard de la population arménienne.
À l’heure actuelle, l’armée azérie n’est pas parvenue à se maintenir ; mais il est clair pour tout le monde que ces incursions visent à tester les défenses arméniennes et à sonder les réactions de la communauté internationale.
Si le résultat de ces tests est considéré comme encourageant par les dirigeants azéris, l’Azerbaïdjan pourra mettre en œuvre ses ambitions d’annexion du sud de l’Arménie, créer un continuum territorial avec la Turquie et accomplir ainsi le grand dessein panturc consistant à rassembler les peuples de langues turque du Bosphore à la Caspienne. Lors de sa dernière intervention à la tribune des Nations unies, le Premier ministre arménien a alerté la communauté internationale sur les inquiétantes ambitions territoriales de l’Azerbaïdjan.
À la différence des frontières du Karabagh, les frontières de la République d’Arménie sont celles d’un État souverain, reconnu par l’ensemble de la communauté internationale. L’attaque par l’armée azerbaïdjanaise devrait logiquement soulever une indignation générale, à l’instar de ce qui s’est passé pour l’Ukraine. Le pays tout entier est donc en état d’alerte, les Arméniens se préparent au pire et pressentent qu’ils ne devront compter que sur eux-mêmes pour défendre leur pays.
S. d. V. Pourquoi un tel silence des médias ? Est-ce parce que l’Occident est focalisé sur la guerre en Ukraine ?
D. M. & D. L. Le conflit arméno-azerbaïdjanais rencontre peu d’échos médiatiques, mais il faut reconnaître que les médias sont accaparés par la guerre en Ukraine. Il est vrai que cette guerre se prête bien à l’approche manichéenne - démocratie contre dictature – dont ils sont friands. Mais le conflit arméno-azerbaïdjanais oppose également une jeune démocratie à une des pires dictatures qui soit !
En l’espèce, les médias (à de notables exceptions près) ne font que refléter l’indifférence ou le cynisme des dirigeants occidentaux. En effet, depuis la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, les dirigeants occidentaux ont plus que jamais besoin de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Le premier pour son gaz et la seconde pour son rôle de gardien du Bosphore.
Avec le risque de rupture d’approvisionnement en gaz russe, il est devenu crucial pour l’Europe et même vital pour l’Allemagne de se fournir en gaz de la Caspienne. L’Azerbaïdjan est devenu, du jour au lendemain, un partenaire essentiel pour les Occidentaux. Le sort de l’Arménie ne pèse rien face à ces impératifs. Ces considérations expliquent certainement le mutisme des responsables politiques européens. La poignée de main entre Ursula von der Leyen et le président Aliyev lors de la conclusion de l’accord de fourniture de gaz à l’Union européenne ouvrait ainsi un nouveau chapitre de la realpolitik qui pourrait s’intituler « gaz contre silence ».
S. d. V. Des médias font état de collusions entre des personnalités politiques et l’Azerbaïdjan, serait-ce là l'explication de certains silences ?
D.M. & D. L. Il est incontestable que grâce à l’argent du pétrole, l’Azerbaïdjan développe depuis des années une politique très efficace de lobbying en direction des journalistes et des politiques européens. Le président azerbaïdjanais entretient ainsi un réseau d’influence aux ramifications parfois inattendues, s’étendant jusqu’au Vatican. Ainsi, en 2020, l’épouse du président azerbaïdjanais a été décorée de l’insigne de grand-croix de l’ordre de Pie IX des mains du secrétaire d’État du Saint-Siège en personne… Pour l’Arménie, le véritable problème réside dans le fait que d’importants acteurs de la communauté internationale semblent rechigner à désigner l’agresseur et renvoient les deux belligérants dos à dos, alors que s’accumulent les preuves incontestables d’une agression préparée de longue main par l’Azerbaïdjan.
11 commentaires
BHL ne s’est jamais intéressé à l’Arménie.
Article intéressant mais s’il n’y a pas rappel de ce qui s’est passé depuis 1991, cela ne peut que fausser l’opinion des lecteurs avec cette présentation des bons d’un côté et des méchants de l’autre. A noter que les présentations manichéennes n’aident pas à la résolution d’un conflit dont les premières victimes sont les habitants des deux côtés. Et si l’Azerbaïdjan est l’ »une des pires dictatures qui soit », je ne m’en suis pas rendu compte lors de mes longs séjours à Bakou en 2014-2015. Certes, c’est très très loin d’être parfait selon notre vision, mais c’est heureusement très très éloigné de pays parfois amis qui voilent, décapitent, réduisent en quasi-esclavage.
France complice de crimes contre l’humanité ? Non, pour l’Azerbaïdjan les Arméniens ne sont pas des musulmans donc ce ne sont pas des êtres humains. Pour la Turquie et son suppôt turcophone les Arméniens doivent être rayés de la carte. Les Arméniens éliminés, il n’y aura alors plus à discuter du génocide arménien perpétré par la Turquie, génocide qui a montré à Hitler comment si prendre contre les races inférieures sans que la communauté internationale ne bouge une oreille. C’est quand même grâce à la Russie si des Arméniens vivent toujours là-bas
Si c’est pour le gaz que l’on laisse les Azéris, faire la guerre aux Arméniens, que n’a t’on fait pareil pour la Russie ,en la laissant tranquillement battre l’Ukraine pays qui était connu pour être le plus pourri d’Europe il y a moins d’un an. Si l’on n’avait pas aidé l’Ukraine la guerre serait finie et nous aurions dû gaz russe. Mais l’Ukraine n’est que le prétexte pris par les US et leurs valets européens pour faire la guerre à la Russie par pays interposé.
Très bon article, en tout cas il a le mérite de présenter le drame arménien gardé sous silence par les grands médias européens soit disant libres, objectifs et démocratques.
Pour ce qui est du gaz azéri je ne pense pas qu’il explique à lui seul le silence européen, car les fournitures de gaz azéri sont loin d’être suffisantes pour combler les besoins européens.Il ne faut pas perdre de vue, qu’à travers l’Arménie une lutte d’influence est menée contre la Russie et l’Iran, le but est de couper le lien frontalier entre l’Arménie et l’Iran dont les relations ne sont pas mauvaises, en tout cas pas hostiles. Par ailleurs l’occident veut sortir l’Arménie de l’ornière de l’influence russe, fidèle à sa politique d’encercler la Russie.Le régime arménien actuel est lui-même issu de la révolution de velours de 2018, pas vraiment amicale avec la Russie, mais dont il a militairement besoin, parce qu’en face il y a la Turquie, membre éminent de l’Otan et son petit frère azéri. On sait que le régime de Pachinian comporte une composante importante de politiciens liés aux ONG sorosiennes. L’Europe ferme par ailleurs les yeux sur l’oppression de l’opposition nationale arménienne et en partie pro-russe.D’où l’emprisonnement de dizaines de militants nationaux anti-régime.
Ce qu’on peut le plus reprocher à l’UE et aux USA, c’est leur hypocrisie et leur manque de fiabilité. En 2015 les Arméniens ont commémoré leur génocide de 1915. De nouveaux pays comme l’Allemagne ou les USA avec Biden se sont joints aux pays ayant déjà reconnu le génocide arménien. Et après? Où est restée leur action après les massacres des Arméniens depuis 2020, massacres perpétrés par les mêmes! Faut-il rappeler que la Turquie(membre de l’Otan) a directement pris part à la guerre de 2020 contre l’Arménie, avec l’acheminement de milliers de djihadistes contre l’Arménie, et la fourniture de drones Bayraktar, sans compter l’envoi d’un staff d’officiers turcs de haut rang à l’Azebaidjan pendant la guerre de 44 jours de 2020.
A plusieurs reprises la France et les USA ont officiellement déclaré que les troupes azéries devaient retourner à leurs positions du 10 novembre 2020, date du cessez-le-feu . Depuis ces déclarations, il n’y a eu même pas cessation de nouvelles agressions et atrocités azéries, ni occupation de nouveaux territoires de la République d’Arménie!
l’Azerbaïdjan, une des pires dictatures ? Non. l’Azerbaïdjan a du pétrole à nous vendre, alors le choix est vite fait, grand pays démocratique. L’Arménie a connu un génocide qui, toutes proportion tenu n’a rien à envier à l’holocauste dont la Turquie allié à l’Allemagne en ce temps là, ne se souviens plus, s’en est relevé et actuellement s’en relèvera une fois de plus. Le choix entre le pétrole et l’Arménie est vite fait.
Merci Sabine, vous êtes toujours l’avocate des causes « oubliées », causes oubliées que les médias dominants feignent de ne pas voir…car elles mettent trop souvent en valeur le « deux poids et deux mesures » dans le traitement de l’actualité.
Que vaut la défense d’une démocratie dans une nation chrétienne, face face à un manque cruel de sources d’énergie, manque lié essentiellement à l’impéritie de nos deux derniers présidents et l’incurie de notre administration.
c’est aussi le combat entre deux religions
Oui. Et ce serait une bonne raison supplémentaire pour soutenir l’Arménie.
Surtout !! Entre 2 » civilisations : l’une , barbare et frustre ; l’autre , morale, intellectuelle et raffinée..
Les Azerbaïdjanais sont de sinistres soudards mais ils ont gaz et pétrole! Ceci compense cela faisant de nos dirigeants les complices des exactions perpétrées en Arménie. Entre la guerre en Ukraine et la pénurie de gaz qui en découle, les occidentaux, notamment européens ont tranché. Pauvre Arménie.