En plein bras de fer avec le FN, Robert Ménard s’explique

BV. Les réactions des responsables du Front national n’ont pas été tendres au lendemain de la publication de votre lettre ouverte...

RM. Je ne mettrai pas tout le monde dans le même panier. Il y a ceux qui ne peuvent pas faire autrement que défendre la ligne officielle même s’ils n’en pensent pas un traître mot. Ils sont les obligés du parti. Certains d’entre eux n’hésitent pas, d’ailleurs, à me dire qu’ils sont d’accord avec ce que je dis… mais seulement en privé. Et se contentent de la langue de bois habituelle dès qu’ils s’expriment dans les médias. C’est ce double langage qui participe à discréditer la classe politique.

Il y a ceux qui se sont gardés de toute déclaration publique. Ou se sont contentés du « minimum syndical »… Nous pensons quasiment la même chose mais c’est évidemment plus facile, pour moi, de le dire, n’étant ni dans l’appareil ni même dans le parti.

Enfin, il y a ceux que j’appellerai les « philippotistes ». Ceux-là mêmes qui sont directement responsables des dernières défaites de notre camp. Ils n’existent que par le bon vouloir de Marine Le Pen. Ils n’ont pas de base militante.

Ils sont des apparatchiks qui sont battus chaque fois qu’ils se présentent devant les électeurs. Mais ils persistent et signent. Ils sont les ayatollahs du "ni droite, ni gauche" ou de la sortie de l'euro.

C’est à un véritable règlement de comptes que vous vous livrez…

Je suis soucieux, et seulement soucieux, de gagner, pas pour un parti mais pour la France. Je sais ce que nous devons à Marine Le Pen. Mais je ne veux pas cacher mes désaccords. Et je ne les ai d’ailleurs jamais cachés. Je crois, par exemple, qu’avoir mis en première position des 144 propositions de la présidentielle la question européenne était une erreur. Il me semble que les Français ont d’autres priorités : la sécurité, la vague migratoire, l’islamisme qui grignote du terrain et sa version terroriste, le chômage, l’échec scolaire, les familles qui prennent l’eau… Jamais, dans ma ville, un Biterrois n’est venu spontanément me parler de l’euro. En revanche, ils m’interpellent sur leur voisin qui fait du chambard et leur pourrit la vie. Ou sur ce boulot qu’ils n’arrivent pas à décrocher…

Mais faire de la politique ne peut se réduire au quotidien des électeurs…

Il me semble, contrairement à ce que vous laissez entendre, que la politique, c’est d’abord cela. J’ai pris la peine de relire ces 144 propositions. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles je suis d’accord. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai fait campagne pour Marine Le Pen : j’étais à Villepinte, j’ai pris la parole lors de son meeting à Perpignan. Mais, honnêtement, je ne crois pas un instant qu’on puisse toujours promettre plus sans, dans le même temps, expliquer comment financer ces nouvelles dépenses. Et personne ne me convaincra que lutter contre la fraude, diminuer de façon drastique l’immigration et reprendre ce que nous donnons à l’Europe suffiraient à remplir les caisses de l’État. Vous me direz que tous les partis font la même chose en période électorale : promettre, promettre, promettre… Oui, c’est vrai.

Mais c’est justement pourquoi ils échouent. Regardez Emmanuel Macron. Il n’a cessé – avec sa désormais célèbre formule « en même temps » - de faire entendre à chacun ce qui plaisait à leurs oreilles. On voit le résultat : une chute de popularité qui bloquera encore une fois la machine à réformer…

Parce que vous voulez des réformes d’Emmanuel Macron ?

Je me réserve le droit de dire que, sur tel ou tel point, il a raison. J’en ai assez de cette attitude qui consiste à ne jamais reconnaître que votre adversaire peut être dans le vrai. Sur certains points, je suis d’accord sur la loi Travail. Pour connaître les petites entreprises de ma ville, je sais à quel point la lourdeur du Code du travail finit par les décourager d’embaucher. Alors, on peut, comme Jean-Luc Mélenchon, la CGT ou Florian Philippot, tenir un discours démagogique, faire du « dégagisme ». Les Français savent bien que ce n’est pas aussi simple que veulent nous le faire croire ces politiciens à la petite semaine ou ces syndicalistes ultra-politisés. Mais il est tellement plus confortable de se contenter de slogans.

Le réel, lui, est un peu plus compliqué… Mais que connaît un Florian Philippot de la réalité ? Les entrées de gare où il va distribuer des tracts et les salles de classe où l’on ouvre les urnes et où il constate qu’il a perdu.

Vous êtes sévère ! On ne joue pas contre son camp !

Mais je joue pour mon camp. Encore une fois, je veux que nous gagnions. Je ne veux pas que nous soyons le Parti communiste de l’après-guerre, c’est-à-dire un parti protestataire, toujours dans l’opposition. Je me préoccupe des plus humbles, des laissés-pour-compte, des oubliés. Et pour eux, il faut que nous soyons au pouvoir. Avec le Front national, tel qu’il est, nous sommes condamnés à perdre. C’est dur à dire, mais c’est comme ça. Et chacun le sait. Il faut tout changer. En commençant par le programme. J’ai parfois le sentiment de côtoyer une tribu de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Avec une pensée magique. À toute question, à toute interrogation, la tribu répond imperturbable : la faute à Bruxelles ! Comme si l’échec du collège unique avait quelque chose à voir avec l’Union européenne ! Mais c’est tellement commode…

Il faut redescendre sur terre. Le peuple, ce n’est pas seulement les militants avec qui vous faites des selfies à la sortie des meetings. Faisons preuve de réalisme, de bon sens. Rangeons au placard le vocabulaire de guerre civile, les vieilles nostalgies, le complotisme de salon.

De quoi je me mêle, m’enverra à la figure Marine Le Pen, comme elle l’a d’ailleurs déjà fait, me rappelant que je ne suis pas membre de son parti. C’est que je me soucie de mon pays et que tout ce qui peut permettre de lui faire regagner sa place me concerne. Je pourrais, c’est vrai, me retirer dans ma province, choisir Béziers et oublier la France. C’est une vraie tentation, tant le mandat de maire me passionne, me comble, tant j’aime cette ville qui m’a choisi. Mais ce serait faire fausse route : bon nombre des problèmes que l’élu local que je suis rencontre ne peuvent trouver une solution qu’au niveau national. Les politiques en matière d’école, d’immigration ou de sécurité, pour ne citer que ces exemples, se décident à Paris. Même si je n’hésite pas à frôler parfois les lignes jaunes pour remédier aux carences, pour ne pas dire aux lâchetés de l’État dans ces domaines…

Tout le monde n’a pas son Puy du Fou, comme mon ami Philippe de Villiers. Il a construit, pour lui et la joie profonde de ses visiteurs, la France qu’on aime. Et qu’on rêverait de voir s’étendre hors de sa baronnie de Vendée. Alors retroussons-nous les manches.

Mais vous étiez bien content d’avoir le soutien du Front national lors des municipales de 2014 à Béziers ou à l’occasion des dernières législatives remportées par votre épouse dans la 6e circonscription de l’Hérault…

Bien sûr. Mais je pourrais retourner l’argumentaire. Le Front national pense-t-il vraiment qu’il aurait emporté la mairie de Béziers ou le siège de député de ce coin du département s’il avait présenté des candidats portant sa seule casaque ? Poser la question, c’est y répondre.

Vous êtes beaucoup dans la critique. Mais que faire ?

D’abord, commençons par balayer devant sa porte. Il est vain de vouloir regrouper, comme je l’ai cru, toutes les chapelles qui occupent l’espace entre Les Républicains et les Frontistes. Les querelles indéfiniment ressassées, les intérêts de boutique, les ego démesurés : tout nous voue à l’échec. Le rassemblement à Béziers a été décevant. J’en porte ma part de responsabilité.

Alors que faire, comme vous dites. L’avenir n’est plus à un Front national rénové. Il a fait son temps. Même les partis meurent. Emmanuel Macron vient d’en apporter la preuve. Il est illusoire, je l’ai dit, d’espérer quoi que ce soit de ces mouvements qui gravitent entre « droite convenable » et « extrême droite ». Ils sont aussi sclérosés que ces vieux politiques qu’ils passent leur temps à brocarder.

Le monde a changé et nous n’en avons pas pris la mesure. La déculottée de la présidentielle et des législatives devrait nous ouvrir les yeux. Le désespoir de ceux qui nous ont fait confiance – et continuent à le faire dans nos villes, dans nos territoires – est palpable. On peut toujours regarder ailleurs. Nous en paierons les pots cassés. Mais surtout, avec nous, ce peuple, ce petit peuple que nous nous évertuons à défendre. Il vit difficilement. Il est loin, très loin de cette France que nous décrit – et qu’incarne si bien - notre nouveau chef de l’État. Et je ne veux pas l’abandonner.

Alors oui, il nous faut construire quelque chose de nouveau, de neuf. Avec qui ? Sur les ruines de qui ? Je n’ai pas les réponses. Et je ne les trouverai pas tout seul. Il faut du collectif, des hommes et des femmes qui soient étrangers au monde de la politique – même si je ne pratique pas le nouveau culte de la « société civile ». Il faut jeter aux orties nos vieilles défroques de militants radotant sur nos campagnes électorales vécues comme autant de combats homériques. Retrouvons la modestie de la vie, l’humilité du quotidien. Ce qui n’empêche pas le courage, la liberté, le panache. Asseyons-nous à la même table et parlons. Sans réflexes dignes de la Guépéou, toujours prêts que nous sommes à excommunier. En tentant d’imaginer un regroupement qui ne singe pas le centralisme démocratique que même les partis de droite ont adopté…

Faisons preuve d’imagination, disait-on en mai 68. Au profit, non d’un individualisme hédoniste, mais au seul service du bien commun, d’une solidarité exigeante - l’autre nom de la charité. Cela passe, me semble-t-il, par la réaffirmation d’une Europe forte, seule protectrice de nos identités – qui ne sont pas menacées par l’Allemagne mais par l’entertainment américain –, d’un État qui se restreigne à ses missions régaliennes et laisse libre champ à l’initiative, aux talents privés, la réaffirmation de valeurs qui ne sont pas traditionnelles – « rabougries », comme diraient ces frontistes qui préfèrent un Mélenchon à un Wauquiez – mais ancrées dans une histoire, une géographie qui sont les nôtres et la garantie d’un monde riche de ses dissemblances.

Et Marine Le Pen, dans cette perspective ?

Je le redis, elle a contribué à sortir son parti de l’ornière poujadiste dans laquelle son père le maintenait. Elle a su le débarrasser, en partie du moins, des nostalgiques d’un temps et d’une rhétorique qui me répugnent. Elle a incarné les espoirs d’un petit peuple oublié de nos élites une fois les élections passées. Elle est forte de convictions, d’une abnégation que je salue et que je respecte. Mais est-elle toujours la mieux placée pour nous faire gagner ? Poser la question ne doit pas être considéré comme blasphématoire. Je ne serais pas étonné qu’elle se la pose elle-même. Elle a assez de courage et d’honnêteté pour ne pas l’exclure.

Alors, que répondre à votre question ? Que dans ce domaine, aussi, rien n’est écrit. Si ce n’est une certitude : si Marine Le Pen veut incarner notre courant de pensée et, surtout, l’emporter un jour, il lui faut se débarrasser de ceux qui, autour d’elle, l’ont fait perdre. Et en faire, à peine les voilà battus, des attachés parlementaires n’est pas le meilleur signe qu’elle puisse donner de sa lucidité.

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Robert Ménard
Maire de Béziers, ancien journaliste, fondateur de Reporters sans frontières et de Boulevard Voltaire

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