Alexandre Langlois, deux ans après l'attentat de Magnanville et l'assassinat de deux policiers chez eux, fait le point au micro de Boulevard Voltaire sur la protection insuffisante des policiers (données informatiques, fuites, etc.) et sur la façon dont ils vivent, au quotidien et dans leurs missions, les menaces qui pèsent sur leur vie privée et leurs familles.

 


Le 13 juin 2016, Jean-Baptiste et Jessica mourraient assassinés par un terroriste islamique. Deux ans après, vos collègues de la Police nationale se souviennent-ils de ce drame ?

C’était un moment très dur pour nous. C’était la première fois que nous étions assassinés chez nous.
Nous sommes préparés psychologiquement à nous faire tuer ou blesser en service. Mais que nos familles soient en danger chez nous, cela a été un choc.
La prochaine promotion des commissaires de police portera le nom de nos deux collègues, preuve que nous nous souvenons.


Des dispositions particulières ont-elles été mises en place pour assurer la sécurité de vos familles ?

Le dispositif actuel est toujours bancal. On a mis des pansements sur des jambes de bois.
Plusieurs choses continuent de poser problème.
Un fichier des cartes grises est toujours donné à des sociétés privées. Quelqu’un peut donc toujours facilement trouver les adresses de nos collègues. Il suffit de venir autour d’un commissariat et de relever les plaques d’immatriculation.
Le nom de tous les collègues qui réussissent un concours de gardien de la paix, d’officier ou autre sont sur internet. Cela concerne les collègues les plus jeunes et les plus vulnérables.
Et enfin, il existe encore des failles sur la confidentialité de certains documents. Nous en avons eu un exemple dernièrement. Nous avons fait des propositions simples afin de sécuriser les documents, notamment pour nos collègues qui travaillent sur des domaines sensibles. Par exemple, on pourrait autoriser les syndicats à consulter les noms pour les mutations et l’avancement, mais sans pouvoir emmener de documents chez eux. Rien de tout cela n’est pas mis en place. Il y a une volonté de laisser-faire.

Vous faites probablement référence à l’affaire de la clé USB remplie de données privées de policiers mis entre les mains d’une dame qui hébergeait un fiché S. Les informations contenues sur cette clé USB se baladent-elles toujours dans la nature ?

Les informations se baladent toujours dans la nature. Elle pouvait avoir ces documents en tant que déléguée syndicale. Ces documents ont été dupliqués plusieurs centaines de fois puisque les délégués siégeant pour les mutations et l’avancement l’avaient. Il n’y a aucun contrôle là-dessus.
Nous avions demandé que les documents soient consultés au ministère dans un environnement sécurisé, mais que rien ne sorte du ministère afin de réduire les risques de fuites. Les seules mesures que le ministère daigne prendre sont de proposer aux organisations et associations de la Police nationale des conseils sur la sécurité informatique.
Par ailleurs, le fichier de la Mutuelle de la Police nationale qui contenait 112 000 noms, adresses et dossiers médicaux de nos collègues s’est retrouvé dans la nature. Le site a été hacké.
C’est dû à un manque de formation pour certains ou des habitudes que l’on pourrait modifier. Des choses simples pourraient être faites en interne. Et le ministère pourrait paradoxalement faire des économies. Consulter un document dans une pièce sécurisée implique l’impression d’un seul exemplaire du document. Ça évite de les envoyer à tout le monde et de faire de nombreuses impressions.


Cette incapacité à protéger efficacement vos familles a-t-elle des conséquences sur votre motivation ?

Cela a clairement des conséquences. Nous voulons protéger la population. Mais si pour faire cela, nous mettons en danger nos propres familles, la motivation en prend un coup. On ne se sent plus vraiment en sécurité pour faire notre travail.
Il y a un mois, des collègues CRS se sont fait agresser à la sortir de la caserne.
Attaquer des personnes appartenant aux forces de l’ordre ne constitue plus une ligne à ne pas franchir. Lors de la manifestation du 1er mai, les ordres étaient de laisser casser. Et la conséquence a été que les collègues s’en sont pris plein les dents...
On a l’impression d’être jetés en pâture dans notre travail, dans nos missions, et maintenant avec nos familles. Nous avons réellement l’impression d’un abandon de l’État sur des missions pourtant très importantes pour que chacun puisse vivre librement.


Regrettez-vous l’accroissement de la privatisation des services autour de la Police?

C’est en effet un sujet que nous dénonçons régulièrement. Certaines privations de missions régaliennes nous paraissent totalement aberrantes. Mais le ministre a annoncé à l’Assemblée nationale qu’il allait falloir apprendre à travailler avec les polices privées. Ça ne va donc pas dans le bon sens.

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13 juin 2018 à 19:29

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