Cela faisait quelque temps, déjà, que j'avais lu dans la rubrique "Horizons" du Monde un reportage remarquable de Soren Seelow sur Mourad Sadi, "l'innocent de la rue Myrha". Je désirais en parler et j'espérais pouvoir lui faire un sort dans mon émission "La Voix de Bilger" (Sud Radio). J'aurais glissé le sujet dans les questionnements que notre société suscite et je me faisais une joie intellectuelle et médiatique d'attirer l'attention sur cette triste affaire.

Même si, en définitive, elle se termine bien (si on peut dire) puisque le véritable coupable de l'incendie de la rue Myrha, dans le 18e arrondissement de Paris, qui a causé la mort de huit personnes, a été identifié, mis en examen et incarcéré. Mais Mourad Sadi a été libéré en catimini, dans la précipitation, en demeurant mis en examen avec une innocence qui n'est donc pas encore officiellement reconnue. Ce qui le blesse.

L'actualité m'a empêché d'évoquer Mourad Sadi sur Sud Radio et celui-ci commençait doucement à disparaître de ma mémoire.

Le hasard m'a permis de relire l'enquête de Soren Seelow.

Le plus souvent, on confond certains dysfonctionnements avec une prétendue incertitude sur la culpabilité et qu'en gros, toute affaire perdue par un grand avocat et nourrie par la partialité et l'ignorance médiatiques est offerte aux citoyens naïfs comme un scandale où les Zola médiocres qui sommeillent chez quelques-uns trouvent leur terrain de gloire vulgaire.

Mourad Sadi, c'est bien autre chose.

Ce n'est pas seulement, pas surtout, ce qu'énonce Me Paul Fortin, son conseil, pour qui "la Justice sait être expéditive pour envoyer un SDF en prison. Elle est, en revanche, d'une infinie lenteur pour réparer ses erreurs."

Le plus tragique est cette banalité terrifiante qui, avec une évidence qui aurait pu convaincre les esprits même les plus ouverts, a plongé Mourad Sadi dans un enfer d'une totale discrétion, vécu par l'intéressé sans révolte, avec une résignation qui semblait considérer qu'infortune et injustice étaient dévolues à son existence et à sa condition. Cette grisaille où la misère est associée à une culpabilité quasiment perçue comme naturelle fait frémir parce qu'elle laisse presque entendre que le sursaut pour s'opposer à cette morne fatalité serait lui-même inutile.

Mourad Sadi est un homme dont personne ne se serait occupé et qui ne doit son sauvetage qu'à des enquêteurs perspicaces.

Mourad Sadi dit doucement, sur un ton qui ne réclame rien :

J'ai été victime de la Justice mais, d'un autre côté, ils ont arrêté le vrai coupable. S'il était mort dans l'incendie, je serais encore sans doute en prison. Je ne sais pas quoi en penser... On m'a volé un an de ma vie. Aujourd'hui, j'aimerais juste qu'on me dise : “Tu es innocent, fin de l'histoire”.

Je songe à ma vie d'hier. Mourad Sadi est dans le box des accusés. On n'a pas encore identifié le vrai coupable. Que dis-je, que fais-je de lui ? Je l'écoute, je l'accable, je requiers la continuation de sa nuit ou je fais advenir un peu de doute et d'aurore qui le sauvera ?

Cet innocent serait resté totalement anonyme si Soren Seelow n'avait pas écrit sur lui. Je rends trop peu de grâces aux journalistes pour ne pas célébrer, cette fois, la lumière que celui-ci a si bien projetée sur un inconnu modeste, et patient.

Extrait de Justice au singulier.

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12 juillet 2018 à 10:33

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