Les ministres de Macron, ces inconnus. Pourquoi ?

Je n'ai jamais sous-estimé l'inculture politique de mes concitoyens, même si je n'imaginais pas qu'elle pouvait atteindre un tel degré d'ignorance. Selon un sondage Odoxa, pour 50 % des Français, Gérard Collomb, Muriel Pénicaud, Jean-Michel Blanquer et même l'omniprésent Christophe Castaner restent des inconnus.

Ce qui n'était pas le cas de Nicolas Hulot. En raison, évidemment, de sa vie médiatique antérieure et du fait qu'avalant des couleuvres, Antigone relative métamorphosée en Créon fataliste, il se trouve davantage dans la lumière que des ministres discrets et efficaces.

Tout de même, comment est-il possible que des personnalités dont on n'a pas cessé de parler ces derniers mois, qu'on a beaucoup vues et entendues, soient tellement ignorées du commun des citoyens ?

Phénomène d'autant plus étrange que nul rival ne vient s'immiscer dans le processus de leur médiatisation puisque aucun membre du cabinet du président de la République, contrairement au quinquennat de Nicolas Sarkozy, n'a le droit de s'exposer et d'engager publiquement Emmanuel Macron. Une totale discrétion donc, qui confronte les ministres à leur responsabilité propre.

Toutefois, il est clair que l'éclat permanent projeté sur le couple présidentiel - lui a fait la couverture de Time, qui le voit comme "le prochain leader de l'Europe... si tant est qu'il puisse diriger la France" et elle, pour la dixième fois au moins, fait l'objet d'un reportage qui se demande "qui est la vraie Brigitte Macron ?" (Jours de France) - prend une place considérable et détourne de l'attention qui devrait normalement aussi se porter sur les ministres dont l'action, pour certains, n'a pas été chiche ni médiocre.

Et ce, malgré la volonté anecdotique ou plus sérieuse d'inscrire à tout prix le Président dans une histoire visant à le dépouiller de la singularité qu'il revendique. On s'obstine à le présenter comme l'héritier, même infidèle, de François Hollande et Carla Bruni-Sarkozy, pour plomber le moral de ceux qui n'ont pas envie d'une telle complicité, décrit son mari comme "très proche du nouveau Président et du nouveau gouvernement".

Il me semble, cependant, que l'anonymat ministériel renvoie, malgré le bouleversement du paysage politique classique qui aurait pu faire espérer sur tous les plans une renaissance, à la continuation, sur un mode mineur, de la crise démocratique qui a conduit, lors de l'élection présidentielle et des élections législatives, à une abstention massive de désintérêt et de refus.

À une dépolitisation qui n'est pas sans lien avec cet impressionnant manque de curiosité pour le gouvernement et le nom de ceux qui le composent. On persiste à s'éloigner de la chose publique, même si j'intègre à cette indifférence que les oubliés, les méconnus, ne sont pas tous forcément épris de lumière mais, bien plus, dignes de celle-ci.

Il n'empêche que cette traduction anodine d'une République qui pense à autre chose qu'à ses ministres me désappointe davantage que l'incapacité d'un Antoine Griezmann jeune footballeur en Espagne, à citer le moindre candidat à l'élection présidentielle de 2017. C'était déjà affligeant, mais que dire de ce pays atteint d'une telle hémiplégie qu'une moitié de lui est insoucieuse de l'identité de serviteurs de l'État travaillant pour le bien commun ?

Je constate que le temps sera encore long pour que le président de la République, son équipe, son gouvernement et ses réussites ancrent, dans l'esprit public, ce que celui-ci aurait dû connaître d'emblée et dont l'absence mérite réflexion et suscite de l'inquiétude.

Que ces inconnus deviennent le plus vite possible illustres !

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Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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