Frère Augustin-Marie, de Chéméré
"Vous êtes seule ?", s’enquiert la serveuse pressée, me frôlant de son plateau. Elle m’indique d’un index las une table tout au fond. Ah non, non. J’attends un frère. Enfin un père. Disons un prêtre. (Mais comment décrit-on cela en 2017 ?) Vous pourrez lui dire, quand il arrivera, que je suis là-bas ? C’est facile, il a un habit. Comme une sorte de soutane. Vous voyez à peu près ? La serveuse a un haussement d’épaules qui peut vouloir dire que je fais bien ce que je veux de ma vie, hein, on est en démocratie.
Ou vous savez Madame, dans un café, des gens baroques, on en voit passer. Ou bien encore, vous pouvez bien retrouver le roi d’Angleterre, si vous saviez comme je n’en ai rien à cirer.
Pardon bien, Mademoiselle, j’ai rendez-vous avez le renouveau de la chrétienté !
Bonne fille, en tout cas, elle lui montre mon recoin, et je vois de loin le frère Augustin-Marie Aubry, tout de blanc vêtu, se frayer un chemin. Moment suspendu : les autres consommateurs, médusés, délaissent leur portable une seconde pour le regarder passer. Si ce n’est pas un petit miracle, comment appelle-t-on ça ?
Leur nom est Fraternité Saint-Vincent-Ferrier - un saint, dit-on, « des temps difficiles »… cela tombe plutôt bien -, mais cette vingtaine de
frères (dont le plus jeune a aussi une vingtaine d’années), appellent leur chantier - tant spirituel que matériel - "Des pierres qui prêchent". Cela fleure bon l’enracinement et l’évangélisation. Il faut dire que leur fraternité, de spiritualité dominicaine, est tout à la fois contemplative et apostolique. La tête pour prier, se former à l’école de saint Thomas d’Aquin, et les jambes pour arpenter la France et convertir. Il y a du boulot, oui, il sait. J’ai loupé l’inauguration de leur nouvelle hôtellerie, en octobre dernier. Alors je veux une session de rattrapage. Savoir comment on peut être frère au XXIe siècle, construire - à Chéméré, village de Mayenne sis non loin de Laval - un couvent, une chapelle, une hôtellerie, monter un clocher quand tant d’autres églises sont désertées.
Je le lui dis tout de go : le lecteur de Boulevard Voltaire, il faut qu’il le sache, n’est pas tellement cul béni, les lectures pieuses l’ennuient, les problématiques d’IVG et d’euthanasie aussi. Lui, tout ce qui l’inquiète, le désole, lui tord les boyaux, c’est la France qui prend l’eau, s’enfuit, disparaît. Sauf que, l’air de rien, tenir à la France, c’est déjà - sans le savoir, ni le vouloir - être un peu chrétien, non ? (Cher lecteur de Boulevard Voltaire, je plaide votre cause, car je vous aime bien !)
"Soit. L’avortement, le lecteur s’en fiche complètement… mais il voit quand même le lien avec ce que d’aucuns appellent le Grand Remplacement ?", me répond finement frère Augustin-Marie. Alors ça, bien sûr, s’il les prend par les sentiments… Fichtre, ce n’est pas pour rien qu’ils sont prêcheurs. Ils ont vite cerné où jeter adroitement leur filet pour ferrer leurs interlocuteurs.
Puis vous savez, dis-je prudemment, les propos du pape les déstabilisent. Les consignes de vote des évêques aussi. Ils pourraient aimer le Christ, mais ils sont parfois repoussés pas l’Église. Le frère m’écoute sans moufter ni paraître choqué. Il peut comprendre. Quand on veut attirer les âmes, il faut sans doute savoir tout entendre.
D’ailleurs, les agnostiques, les athées, les je-ne-crois-en-rien (au-moins-tant-que-je-suis-en-bonne-santé), visiblement, il les connaît. Ai-je envie de savoir quels sont, pour eux, les deux principaux viviers de conversion ? Les musulmans (mais oui, Madame, surtout les femmes, d’ailleurs) et les soixante-huitards. Qui ont reçu, quand ils étaient petits, et puis ont laissé tomber tout cela dans l’oubli (j’imagine des bataillons de Houellebecq, mains jointes et tête baissée).
Et ils n’ont pas peur de se faire remonter les bretelles par une fraternité comme la vôtre, réputée - pour la morale, la liturgie (traditionnelle) et tutti quanti - ne pas trop faire dans la dentelle ? Justement, m’explique judicieusement le frère Augustin-Marie : quand on (re)plonge dans la religion, ce n’est pas pour y trouver du bouillon (tiède). Pas plus qu’on ne se découvre la vocation dans la mollesse : ce frère de 35 ans raconte avoir trouvé la sienne au pèlerinage de Chartres, certain week-end de Pentecôte.
Inversant les rôles, il me pose tout à trac une question : ai-je lu ce bouquin de Philippe de Villiers (membre d’honneur de leur comité de soutien) dont le titre est une interrogation ? Les cloches sonneront-elles encore demain ? Eh bien, eux autres, avec leur grand sourire serein, donnent la réponse non seulement en paroles mais en actes : ils viennent à grand-peine de monter leur lourd clocher : est-ce, à mon avis, pour le laisser tristement à l’arrêt, muet, ou le faire sonner à toute volée non seulement demain, après-demain, après-après-demain, mais pour tous les siècles prochains ?
Ce qu’il faut que je dise aux lecteurs de Boulevard Voltaire ? Cessez de désespérer. L’Église peut sembler mal en point, mais l’adversité peut aussi purifier : prenez le dépouillement des prêtres. On fustige souvent la richesse de l’Église… mais avec la diminution drastique du denier du culte, son clergé n’est plus guère à l’aise que dans les grandes villes. Partout ailleurs, les prêtres sont humbles et démunis. Il les voit bien, lui. Et cela les rend plus sain(t)s.
Le frère Augustin-Marie est reparti comme il était venu, suivi par tant de regards intrigués que j’imagine sans peine, comme il me l’a avoué, qu’il se fait souvent aborder : des gens pour la plupart bienveillants, le remerciant tout simplement de porter l’habit. Et surtout lui confiant des intentions. Beaucoup d’intentions, des tonnes d’intentions qu’il trimballe dans sa valise, et rapporte scrupuleusement dans son couvent. On ne sait s’il sort d’un roman de Raspail ou d’un poème de Charles Péguy. Mais on sait, en revanche, qu’avec ses frères, il est à coup sûr - pour reprendre une expression qui, dans d’autres sphères, a fait florès - une chance pour la France et un remède à la désespérance.
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