Emmanuel Macron en visite officielle à Saint-Pétersbourg, à l’invitation de Vladimir Poutine : à féru d’Histoire, féru d’Histoire et demi, sachant qu’en Russie, notre Président est reçu au palais Constantin, aux jardins jadis dessinés par l’élève d’un certain Le Nôtre. Pour le Kremlin, une élégante manière de rendre la politesse de l’accueil fait à Versailles, alors qu’on fêtait trois siècles d’amitié franco-russe.

L’exercice s’annonce à haut risque. Non à cause des divergences de Paris et Moscou sur tel ou tel sujet – la diplomatie est faite d’arrangements et de non-dits –, mais surtout parce que la France a perdu son rôle, non seulement de grande puissance, mais surtout celui de nation pivot, naguère capable, de par sa tradition politique et sa position géographique, de faire la jointure entre Europe et Asie, Occident et Orient, Nouveau Monde et ancienne Europe, Nord et Sud. Cela, Emmanuel Macron ne l’ignore évidemment pas, au contraire de ses deux prédécesseurs, et on pourrait même lui faire crédit de vouloir renouer avec le lustre français d’antan en la matière. Mais pour cela, encore faudrait-il s’en donner les moyens, et force est d’avouer que cela n’en prend pas exactement le chemin.

Pour commencer, il y a les sanctions commerciales, prises par François Hollande après l’annexion de la Crimée par la Russie. Nonobstant, la France demeure l’un des premiers partenaires commerciaux de la Russie et les chefs d’entreprise emportés dans les bagages d’Emmanuel Macron devraient pouvoir régler ce que les chefs d’État n’ont pas forcément loisir de faire.

Ensuite, le problème ukrainien et la guerre civile larvée qui y règne. Quoi qu’en dise le Quai d’Orsay, cela demeure une affaire strictement russe et devrait avoir vocation à le rester, comme une sorte de conflit de basse intensité avec lequel les chancelleries ont appris à composer, tel qu’en témoigne le statut du Sahara occidental, éternelle pomme de discorde entre le Maroc et l’Algérie.

Les choses se compliquent avec la Syrie, conflit dans lequel la Russie s’est invitée. Avec, au début, la complicité tacite de Paris et Washington et autres capitales trop contentes de voir une tierce nation régler sur le terrain la question de l’État islamique, alors que ces mêmes capitales se contentaient d’agir à la marge sans aller au contact de l’adversaire. Mais tout cela présente un coût politique. Soit le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad à Damas et la présence de l’armée dépêchée là-bas par Téhéran. Si Tel Aviv se contentait fort bien du voisinage de son meilleur ennemi syrien, aisément prévisible et finalement pas si dangereux que ça, la présence à ses frontières d’un fort contingent de l’armée iranienne a tout du casus belli en devenir.

D’où l’actuelle hystérie guerrière déployée par Donald Trump et Benyamin Netanyahou. Et c’est là que la voix de la France ne porte plus, à la fois inféodée à la diplomatie américaine tout en laissant toute marge de manœuvre au bellicisme israélien et saoudien, alors que les premiers ne combattaient Daech que de loin tandis que les seconds l'aidèrent un moment d'assez près ; comme quoi la « guerre contre le terrorisme » a bon dos. Bref, depuis Nicolas Sarkozy, la France ne peut même plus faire semblant d’être l’un des arbitres du Proche-Orient. Rôle que Vladimir Poutine a très bien su endosser, sachant que le Premier ministre israélien lui demande désormais de faire l’intermédiaire avec le régime iranien afin de mieux sonder ses intentions et de lui faire passer tel ou tel message.

D’ailleurs, de l’Iran il sera sûrement beaucoup question, lors des entretiens à venir. Sur ce dossier, Emmanuel Macron est plus en phase avec Vladimir Poutine que sur celui de la Syrie. Il sait qu’au-delà de la parole donnée aux Iraniens, c’est la crédibilité de la France et de l’Europe qui se trouve engagée. Ce qu’Angela Merkel et même Theresa May semblent avoir compris. Pourtant, un proche du pouvoir iranien nous confie : "Les Français et les Européens multiplieront les fanfaronnades, mais finiront par se coucher devant les USA. L’affaire est déjà malheureusement pliée."

À Emmanuel Macron de démontrer que notre interlocuteur se trompe et que la France est encore un pays souverain. Même si ce n’est, à l’évidence, pas gagné, il n’est jamais interdit d’espérer.

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24 mai 2018 à 23:21

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