[L’œil américain] Trump 2024 : pourquoi il gagne

TRUMP 2024

Mardi dernier, Donald Trump a remporté le nombre de délégués nécessaires pour obtenir l’investiture du Parti républicain. S’est alors ensuivi, dans la plupart des médias mainstream, un concert de lamentations reprenant de vieilles antiennes de plus en plus lassantes à force d’être entendues. Par sa démagogie et ses manipulations, Trump a phagocyté le Parti républicain, qu’il a transformé en un mouvement sectaire d’extrême droite. Suivi aveuglément par des « petits Blancs » incultes et fanatisés qui lui vouent un véritable culte de la personnalité, il s’apprête désormais à transformer l’Amérique en une dictature de type fasciste. Fermez le ban !

L’analyse des enquêtes d’opinion laisse pourtant transparaître une réalité différente. Les ressorts de son succès sont ailleurs, mais pour le reconnaître, encore faudrait-il, comme le recommandait Péguy, commencer par accepter de voir ce que l’on voit.

Secouer le système

Pour quelles raisons un candidat multi-inculpé parvient-il non seulement à s’imposer à la primaire républicaine mais aussi à dépasser Joe Biden dans la plupart des sondages ?

Dans la dernière enquête Times/Siena, 59 % des personnes interrogées déclarent avoir une opinion défavorable de Biden, mais elles sont aussi 54 % à avoir une opinion défavorable de Trump. Plus grave : dans un autre sondage, à la question « Pensez-vous que ce candidat est honnête et digne de confiance ? », si 55 % des répondants disent « non » à propos de Joe Biden, ils sont 62 % à dire « non » concernant Trump. Alors ?

Une très intéressante question posée par un autre sondeur donne une piste : « Pensez-vous que Donald Trump est quelqu’un qui va secouer le pays pour le mieux ou pensez-vous qu’il est un danger pour la démocratie et qu’il divisera le pays s’il est élu ? » 56 % des Américains répondent qu’il secouera le pays pour le mieux. 30 % des démocrates et 51 % des indépendants partagent cette opinion ! Certes, les deux candidats sont impopulaires, mais Trump continue à apparaître comme quelqu’un à même de défier le statu quo et de bousculer le système.

Une question de politique ou de personnalité ?

Les deux, mon général ! Biden est jugé trop vieux et sénile, mais ce sont tout autant ses politiques que rejette une majorité de l’électorat. Interrogés sur le bilan des deux présidents, 40 % des Américains disent que les politiques de Trump ont eu sur eux un effet positif et 25 % un effet négatif. Inversement, ils sont 43 % à considérer que les politiques mises en œuvre par Biden ont eu sur eux un effet négatif et 18 % un effet positif. Une perception qui ne varie ni en fonction de l’âge ni en fonction de la race.

Si on hiérarchise ensuite les préoccupations des Américains, on mesure l’échec des démocrates à faire de la défense de la démocratie et du droit à l’avortement les thèmes majeurs de l’élection présidentielle.

C’est l’immigration qui tend à devenir la préoccupation principale des électeurs, devant l’inflation et l’économie. Dans l’enquête Harvard/Harris, à la question « Quel est le plus gros échec de Joe Biden en tant que président ? », les sondés de tout bord politique placent très nettement en tête « la politique de frontière ouverte et le flux historique de migrants ». Comme le montre un autre sondage, cette désapprobation est partagée par 70 % des Hispaniques et 50 % de l’électorat noir, qui condamnent la politique migratoire de Biden.

63 % des Américains considèrent, par ailleurs, qu’il a échoué à rendre le pays plus sûr. Un point de vue partagé, là encore, par une grande majorité d’Hispaniques, mais aussi par la moitié des électeurs noirs.

La radicalisation du Parti démocrate

Comme plusieurs enquêtes l’ont révélé, les Américains considèrent le Parti démocrate comme plus extrême que le Parti républicain. Une perception confirmée par le dernier sondage Harvard/Harris : 69 % des Américains disent que « les démocrates se sont déplacés trop à gauche ».

Malgré le discours qui s’est imposé sur l’extrême-droitisation du Parti républicain sous l’influence de Trump, le vrai grand changement de la politique américaine a été, ces dernières années, la radicalisation à gauche des démocrates blancs. En vingt ans, une poussée de 37 points ! Contre 17 points pour les démocrates noirs et 18 points pour les démocrates hispaniques. À l’inverse, le positionnement idéologique est resté assez stable du côté républicain, avec une variation d’environ 14 points vers le conservatisme en vingt ans.

Quand les démocrates accusent le Parti républicain d’abriter en son sein une secte MAGA (Make America Great Again, slogan de Trump), ils ne veulent pas voir que leur propre parti est passé sous la coupe de Blancs diplômés très idéologisés qui se sont fortement éloignés de l’électeur médian.

Une avant-garde « éveillée » dont les positions radicales sur la race, le genre, la criminalité ou l’immigration ont contribué, dans un premier temps, à faire fuir la classe ouvrière blanche et, désormais, une partie des électeurs de couleur, souvent bien plus modérés (voire conservateurs, dans certains domaines) que les Blancs diplômés.

Une nouvelle majorité républicaine : populiste, conservatrice et multiraciale

Les stratèges démocrates se sont pourtant longtemps persuadés que, la démographie étant le destin, la victoire leur tendait les bras grâce à la nouvelle majorité qu’ils allaient bâtir autour de minorités de moins en moins minoritaires, des jeunes, des femmes et des électeurs blancs progressistes.

Or, ce à quoi nous assistons, c’est une dépolarisation raciale et un transfert consécutif d’une part grandissante de l’électorat de couleur vers Trump.

Dans la dernière enquête Times/Siena, on constate une nouvelle baisse pour Joe Biden au sein de l’électorat noir, qui tombe à 66 % (au lieu de 90 % en 2020). À l’inverse, Trump gagne 6 points auprès de cet électorat, avec 23 % d’adhésion. Concernant les Hispaniques, Trump gagne 5 points et, avec 46 % contre 40 %, devance désormais Biden dans cet électorat (en 2020, Biden avait mobilisé environ 60 % des Hispaniques).

Ce qui veut dire que l’électorat républicain se diversifie, là où celui du Parti démocrate se contracte autour d’élites blanches, urbaines, diplômées et très marquées à gauche.

Donald Trump « se connecte avec les Américains ordinaires », remarquait récemment un sondeur démocrate. Et effectivement, contrairement à l’image qu’en donnent ses adversaires, le Parti républicain, loin de devenir une secte, se transforme peu à peu en « parti de l’homme ordinaire ».

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Au cours d’une interview, à Vienne, la semaine dernière, l’économiste étatsunien Jeffrey Sachs qui connaît très bien, à titre personnel, la sphère dirigeante de Washington, a déclaré que les États-Unis sont une oligarchie ploutocratique et que les politiciens ne dirigent rien du tout dans ce pays où le lobby militaro – industriel a en mains la politique étrangère, le lobby pharmaceutique dirige la politique médicale (la plus chère du monde occidental et de loin !)…….Ni Trump, ni Biden n’envisagent de remédier à cette situation désastreuse. Ils n’ont pas de réelle importance. Quel que soit le parti au pouvoir, les décisions importantes sont prises ailleurs. Les USA ne sont plus une démocratie, ni une république, ni même une nation (E. Todd) mais un agrégat d’individus atomisés et dirigés par une minorité de ploutocrates qui s’enrichissent de plus en plus vite comme l’avait prédit le président Eisenhower en 1961.

  2. Et ici, je voterai plutôt Reconquète que RN car les positions de Reconquète sont plus stables que celles du RN qui ont trop tendance à fluctuer avec le temps…

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois