Les fulgurances d’Édouard Baer
On a le droit de tout dire, de juger, de critiquer ou d'aimer. Parce qu'il s'agit de notre liberté et qu'il serait honteux de l'aliéner, notamment en se coulant dans le confort des dénonciations générales et abstraites, qui ne font courir aucun risque.
Mais à une double condition.
En acceptant la riposte.
En précisant bien que votre propre point de vue, aussi pertinent qu'il vous apparaisse, n'est que l'expression de la subjectivité du goût et de l'humeur. Nulle prétention, qui serait au demeurant absurde, à l'objectivité de l'appréciation.
J'éprouve le besoin de prendre ces précautions préliminaires parce que je suis trop habitué à l'aigreur de remarques qui me reprochent arrogance et vanité, alors que j'estime en être aux antipodes.
Cette réflexion sur les médias et le choix souvent discutable qu'ils opèrent en projetant la lumière sur tel ou telle m'est venue à la lecture d'un entretien éblouissant qu'a donné Edouard Baer au Figaro. Un feu d'artifice permanent. Non pas tant par un jeu sur les mots - ce qui est le plus facile quand le langage n'est pas une terre étrangère - mais grâce à la finesse et à la profondeur des réponses qui, sur tous les sujets évoqués, apportent quelque chose qui n'a pas encore été DIT.
Des aperçus qui me touchent égoïstement, parce qu'ils me permettent d'entretenir une complicité avec cette personnalité aux talents divers, que je ne connais pas.
Comment pourrais-je ne pas être saisi par cette observation : « Je n'ai pas de pensée, je pense en parlant », qui est au cœur de la formation et du perfectionnement proposés par mon Institut de la parole ? Comment pourrais-je me dissocier de cette fulgurance que « pour grandir il faut admirer » ? Comment pourrais-je estimer banales les idées qu'Édouard Baer développe sur la relation entre le spectacle, le théâtre et la vie alors que, précisément, sur ce sujet rebattu, il parvient à innover ?
Cet enthousiasme rare de ma part - car si souvent les poncifs et les redites sont le lot ennuyeux du lecteur compulsif - m'a immédiatement renvoyé, selon une nature brassant adhésion et dérision, à l'insipidité de tant d'autres qui, pour être sans doute d'excellentes et estimables personnalités, ne laissent pas d'intriguer, d'inquiéter sur les sélections médiatiques. Cette manière dont celles-ci hyperbolisent ceux qui gravitent dans son espace est catastrophique parce que par réaction, la lucidité les place encore plus bas que nécessaire. Je ne veux pas trop désobliger, mais de Nikos Aliagas à tant d'autres artistes, la perplexité est grande : faut-il comprendre que n'importe quelle actualité rend légitime n'importe quelle promotion ? Je crains que oui.
Car, si on ne peut pas exiger de tous ceux que les médias sollicitent l'originalité du fond et de la forme, d'exprimer ce qui n'a jamais été DIT, au moins faudrait-il qu'ils aient tous quelque chose à dire ! Parler, qui relève trop souvent du bavardage profus et promotionnel, n'a rien à voir avec le fait de rendre irremplaçable son verbe parce qu'il enrichit, étonne, comble qui le lit ou l'écoute.
Quand j'entends des petits qui se gonflent se permettre de critiquer aigrement des Onfray, des Finkielkraut ou des Zemmour qui les dépassent de cent coudées, j'y décèle la marque d'une société qui a perdu le sens des choses et la lucidité des jugements. Certains médias sont devenus, grâce à leur objective résonance, l'alibi de médiocres pour exercer un pouvoir qu'ils ne méritent pas et qui se traduit d'abord par des discriminations et des opprobres laissés à leur disposition et dont ils abusent.
Mais le règne des insipides n'est pas fatal. L'insipide (on aura admis ma définition) est celui ou celle qui aurait pu ne pas parler ou écrire, qu'on aurait dû laisser en repos, qui ne nous emplit de rien et dont la focalisation médiatique apparaît injuste, illégitime, arbitraire, pur clientélisme, connivence intégrale.
Cette impression n'a rien à voir avec le plus ou moins de surabondance ou d'empathie qui vous habite : on entend et on lit beaucoup Luchini, mais il reste royal quand, surtout, il accepte de savoir qu'il n'est pas Luchini ! Isabelle Huppert - actrice surestimée : Éric Neuhoff a raison - bénéficie d'une formidable intensité promotionnelle mais il n'empêche qu'on ne peut qu'être conquis par son intelligence toujours singulière et stimulante. Éric Dupond-Moretti est omniprésent mais cela n'altère en rien la puissance et la vigueur de ses points de vue, aussi éloigné soit-on de sa vision brillamment anarchiste. Il y a des esprits et des sensibilités qui sont beaucoup plus forts que la gêne qu'ils vous causent !
Cette monotonie qui tient à une forme de suprême prévisibilité peut affecter même les échanges décrétés par avance de très haut niveau. Un dialogue entre Régis Debray et Edgar Morin (L'Obs) nous entraîne vers des cimes qui ne sont pas bouleversantes parce qu'on connaît trop l'un et l'autre et qu'ils font à ce point partie de notre paysage intellectuel qu'on peut sans mauvaise conscience les éluder.
J'admets volontiers que ma détestation de l'insipidité vient probablement de mon incoercible propension à l'ennui quand on ne m'offre pas une nourriture renouvelée. Mais après tout, pourquoi les médias ne seraient-ils pas tenus à une obligation de fraîcheur, à une exigence de surprise et d'étonnement ?
Il est vrai qu'on ne peut pas multiplier Édouard Baer.
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