Le théorème de Jacques Julliard

Julliard

Jacques Julliard est un professeur et journaliste de la « deuxième gauche » (venu au Parti socialiste à travers la CFDT), celle qui ne rejette pas l’apport historique du christianisme. Après avoir été chroniqueur au Nouvel Observateur durant quarante ans, il rompt avec celui-ci, estimant que la gauche institutionnelle se fourvoie, et devient chroniqueur à Marianne, ainsi qu’au Figaro. Ce n’est donc apparemment pas un homme de gauche obtus.

M. Julliard a pourtant, dans sa chronique du Figaro daté du 16 août 2021, énoncé un « théorème » politique d’une portée considérable. L’occasion de son intervention était les manifestations contre l’obligation du passe sanitaire, mais son théorème possède une valeur universelle.

Voici ce théorème : « Quand un mouvement social n’est pas naturellement de gauche – entendez uniquement par ce terme qu’il recèle en son sein, fût-ce de façon à moitié inconsciente, une certaine idée du progrès –, il se met à pencher naturellement, fût-ce à l’insu de ses participants, vers la droite extrême. Utopie ou complotisme, tel est le choix. »

Précisons pour commencer, avec M. Julliard, le terme de « droite extrême » : il s’agit de « l’extrême droite », qui est, dit-il, « horrible », « honteuse », « antisémite », « haineuse », « sectaire », « factieuse », « antidémocratique », et représente une « menace de régression fascisante ». Le Figaro ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui a regroupé cette partie du texte sous l’intertitre : « Un climat préfasciste ».

Le théorème de M. Julliard se résume donc ainsi : « Quand un mouvement social n’est pas naturellement de gauche, il se met à pencher naturellement vers le fascisme factieux, antisémite et antidémocratique. »

Pour M. Julliard, notons-le, la gauche est forcément le progrès ou, à l’inverse, le progrès est forcément et exclusivement de gauche. Cependant, me direz-vous, il y a des personnes qui ont fait progresser l’humanité et qui semblent être de droite. Pour résoudre cette antinomie, M. Julliard décrète tout simplement que les personnes qui améliorent la vie de l’humanité sont forcément de gauche, « fût-ce de façon à moitié inconsciente ».

C’est ainsi que, selon le « théorème de Julliard », le monde est divisé en deux catégories.

D’un côté, il y a les personnes qui travaillent au progrès de l’humanité, qui appartiennent donc au « camp du bien ». Ces personnes sont forcément de gauche, soit le sachant, soit ne le sachant pas (« de façon à moitié inconsciente »), puisqu’il y a une stricte équivalence entre gauche et progrès, et que si la personne n’était pas de gauche, elle ne pourrait apporter un quelconque progrès.

En face, il y a « le camp du mal » : ceux qui, en fait, n’apportent à l’humanité aucun progrès. Ils penchent naturellement, « fût-ce à leur insu », vers l’extrême droite, c’est-à-dire vers le fascisme factieux, antisémite et antidémocratique, et spécifiquement aujourd’hui vers le « complotisme ». Et ce, même s’ils se pensent de gauche, ou écologistes, ou de droite modérée, ou gaullistes, ou que sais-je. On a cru remarquer une telle variété idéologique dans les manifestations « anti-passe », mais cette diversité n’était qu’apparente, elle ne pouvait être réelle, puisqu’elle aurait contredit le « théorème de Julliard ».

Tel est le monde enchanté de la nuance, de la subtilité et de la pondération.

 

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Alexandre Dumaine
Journaliste, écrivain

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