Le retour du Grand Turc !

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L'attaque de la Turquie contre les Kurdes, combattants contre Daech, à la faveur du retrait américain du nord de la Syrie suscite, à juste titre, l'ire et la réprobation de nombreux pays et révèle une Turquie belliciste à la surprise de certains.

Toutefois, celles et ceux qui connaissent l'Histoire, et surtout l'Histoire récente des interventions de la Turquie en Syrie, ne sont guère étonnés par l'action d'Erdoğan qui poursuit, en réalité, depuis des années, la même politique à l'égard de la Syrie.

Le Frère musulman Erdoğan est toujours motivé par une double volonté :
- Éliminer les mouvements kurdes hostiles et en lutte armée contre le gouvernement turc, et notamment le PKK, qu'il qualifie de terroriste ;
- Propager l'idéologie des Frères musulmans tant en Turquie qu'au Proche et Moyen-Orient ainsi qu'en Europe.

En 2010, j'ai effectué une mission parlementaire en Syrie ; avec d'autres députés, j'ai rencontré le gouverneur d'Alep. À l'époque régnait une lune de miel entre Damas et Ankara ; l'avenir semblait radieux entre les deux pays.

Tous deux envisageaient de créer un marché commun qui aurait été étendu à tout le Proche-Orient.

Lors de ma visite à Damas, en février 2015, j'ai interrogé le ministre des Affaires étrangères syrien, Walid al-Mouallem, sur les raisons du divorce turco-syrien et de l'hostilité croissante entre les deux pays.

Walid al-Mouallem m'a donné une explication qui mérite d'être rappelée : au début de la guerre civile, Erdoğan est venu à Damas rencontrer Bachar el-Assad et lui aurait demandé de prendre des Frères musulmans dans son gouvernement. Bachar el-Assad aurait refusé au motif que les Frères musulmans, à ses yeux, sont des terroristes et que la Syrie est un État laïc.

Erdoğan aurait répliqué : « Dans ce cas, tu vas avoir des problèmes. »

Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, Morsi, Frère musulman, est au pouvoir au Caire, et le vétéran Ghannouchi, autre Frère musulman, à Tunis.

La Syrie laïque constitue alors une sorte de cadenas qui empêche de reconstituer l'Empire ottoman sous la houlette des Frères musulmans. Il s'agit là d'une pensée profonde d'Erdoğan qui rêve de retrouver le prestige du Grand Turc, dont la Turquie garde toujours la nostalgie.

Ce qui est certain, c'est que la Turquie a choisi son camp contre Damas et soutenu de nombreux mouvements islamistes.

Ses liens avec Daech sont avérés et documentés par de nombreux faits : à Mossoul, la Turquie a obtenu la libération sans difficulté de ses agents consulaires alors que la ville était aux mains de l'État islamique.

La vente du brut de l'État islamique à 15 dollars le baril par camion a permis à Daech de trouver les capitaux pour se maintenir, c'est indubitable !

On peut également citer le rapatriement, en Turquie, des reliques de Souleïmane Shah, père de la dynastie ottomane, en février 2015, dont le tombeau était dans une petite enclave dans le nord de la Syrie, région aux mains de Daech ; l'opération de rapatriement s'est déroulée sans anicroche...

Citons, enfin, les déclarations du chef du MIT, service secret turc, selon lequel ses services ont envoyé aux islamistes en Syrie plus de 1.400 camions d'armes. Les dirigeants du journal kémaliste Cumhuriyet qui publia l'information en février 2015 furent immédiatement incarcérés.

Les objectifs de la Turquie d'Erdoğan sont, dès lors, très clairs et obéissent à une logique établie de longue date : la Syrie doit être une zone d'influence d'Ankara, voire sous son contrôle, et si, de surcroît, les Kurdes du PKK y trouvent refuge, Ankara se doit d'intervenir !

Cette situation est très dangereuse et nous oblige à reconsidérer nos relations avec la Turquie. La marge diplomatique vis-à-vis de la Turquie, qui est toujours membre de l'OTAN mais achète des S-400 russes, est étroite, il serait en effet maladroit de pousser la Turquie dans une alliance avec la Russie.

De plus, la Turquie possède en Europe des colonies qu'Erdoğan choie en permanence en leur demandant de rester turques à part entière. Ces Turcs, pour beaucoup d'entre eux, sont sous l'influence de l'idéologie des Frères musulmans, notamment en Allemagne.

Vont-ils agir massivement pour soutenir la Turquie ? C'est possible.

Une chose est certaine : la politique française et occidentale est une totale faillite en Syrie; l'ouverture de nos frontières à l'immigration turque l'est tout autant !

Nous allons le payer cher !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 21:01.
Jacques Myard
Jacques Myard
Homme politique - Maire de Maisons-Laffitte

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