Le général de Gaulle mérite-t-il un hommage sans nuances ?

DE GAULLE

Alors qu'Emmanuel Macron se rend à Colombey-les-Deux-Églises pour commémorer le 50e anniversaire de la mort du général de Gaulle, que la plupart des partis politiques vont célébrer le chef de la France libre et l'ancien président de la République, que les chaînes de télévision lui consacrent de nombreuses émissions, peut-on s'associer sans réserve à ces hommages ? L'image qu'il a voulu donner de lui-même dans ses Mémoires, la récupération dont il fait l'objet par ses thuriféraires, sincères ou intéressés, ne doivent pas faire oublier que tout homme a sa part d'ombre et de lumière.

L'écrivain Jacques Laurent, qui avait osé attaquer le général de Gaulle dans son pamphlet Mauriac sous de Gaulle, fut condamné, en 1965, pour « offense au chef de l'État ». Lors de son procès, il déclara : « Vingt ans après la Terreur, n'importe quel historien pouvait dire ce qu'il pensait de la Terreur ; vingt ans après le 18 brumaire, n'importe quel historien pouvait dire ce qu'il pensait du 18 brumaire ; vingt ans après la Terreur blanche, n'importe quel historien pouvait s'exprimer librement sur la Terreur blanche ; vingt ans après le 2 décembre, on pouvait parler du 2 décembre selon sa conviction […]. Mais vingt-cinq ans après le 18 juin, j'apprends par le réquisitoire qu'il est interdit de le commenter. »

Il faut se souvenir, en ces jours où l'on défend la liberté d'expression, que de Gaulle mit en place la censure, au début des années 60. Il chargea son ministre de l'Information de cette tâche, pour laquelle des fonctionnaires furent missionnés. Tous les sujets sensibles étaient bannis. Il est vrai que beaucoup de médias ne pratiquent plus, aujourd'hui, cette limitation arbitraire de la liberté : ils sont tellement imprégnés du politiquement correct qu'ils n'ont même pas besoin de s'autocensurer pour ne pas s'égarer hors du bon chemin. Il reste que de Gaulle a ordonné la censure, comme s'il était sacrilège de ternir son image.

Laissons aux historiens le soin de faire toute la lumière sur son rôle dans la Résistance et dans la libération de la France. Qui sait ? Peut-être, un jour, apprendra-t-on que la légende l'a surfait. Reconnaissons qu'il fut toujours soucieux de l'indépendance et de la souveraineté de la France et qu'il se méfiait de l'Europe. On se souvient de cette petite phrase, prononcée entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1965 : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !... mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. » Emmanuel Macron, qui ne jure que par l'Europe, ferait bien de la reprendre à son compte.

Si l'on veut être objectif, on ne peut passer sous silence sa politique algérienne ou, plutôt, le cynisme avec lequel il a mis fin à la guerre d'Algérie : depuis le fameux « Je vous ai compris ! », lancé le 4 juin 1958, donnant espoir à des centaines de milliers d'Algérois massés sur le Forum, jusqu'à l'opprobre infligé à des généraux, officiers et soldats qui avaient voulu rester fidèles à la parole donnée. Faut-il rappeler la fusillade de la rue d'Isly, dont le gouvernement français n'a jamais voulu reconnaître la responsabilité, les massacres d'Oran, l'abandon volontaire des harkis à la barbarie du FLN ?

Tout n'est pas glorieux, chez le général de Gaulle, loin de là ! Il faut établir toute la vérité sur sa carrière et sa politique, plutôt que de se satisfaire d'une image d'Épinal.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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