Laurent Wauquiez coincé entre ses excuses et son « J’assume »

Les excuses dans la vie intellectuelle, politique et médiatique.

Je laisse de côté celles que, dans la familiarité, la proximité amoureuse ou amicale, on éprouve presque du plaisir à prononcer parce qu'elles seront le gage d'un nouvel élan.

Mais dans l'espace public, je trouve qu'on abuse de la culture de l'excuse, de la contrition, des larmes au propre ou au figuré. J'y vois le signe non pas d'une qualité du cœur mais, en amont, d'une défaillance de l'esprit, de la pensée et du langage.

En effet, l'excuse apparaît trop souvent comme le prolongement inévitable, mécanique, d'une foucade, d'une aberration, d'une provocation en amont. Comme si, en général, l'intéressé qui s'y prêtait avait voulu jouer sur les deux tableaux : celui du naturel et de la spontanéité même maladroits et celui de la repentance. Il peut être vif, certes, mais quel bon garçon il est !

Je déteste les excuses qui naissent la plupart du temps, en politique et dans les médias, du fait qu'on ne pensait pas vraiment ce qu'on a dit ou qu'on l'a si mal exprimé que revenir en arrière était la meilleure des solutions. L'excuse est l'aveu d'un propos inconsidéré avant.

Et le désir d'être à tout prix aimé.

Il y a une alternative étrange qui pour une branche cultive l'excuse à outrance, au point qu'elle semble insincère - c'est la raison pour laquelle je n'y ai guère cru quand, parfois, on m'en a adressé - et pour la seconde abuse du "J'assume" qui est une manière apparemment honorable de rattraper le coup en s'efforçant, par la manifestation d'un courage facile, de faire oublier l'inanité de ce qu'on avait proféré.

738_000_10l9xq

Je déteste les excuses parce que j'estime ne m'être jamais trouvé en position de regretter ou de contredire ce que, dans l'instant, j'avais cru utile ou nécessaire de communiquer. J'ai connu les pressions insidieuses qui veulent vous contraindre, par la formulation de l'excuse, à admettre la réalité d'une faute ou d'une indécence que vous n'avez pas commise. Cela reviendrait à dégrader l'authenticité du verbe, quand il est à peu près maîtrisé, par une lâcheté de commodité. On ne sait jamais, s'excuser ne pourra pas faire de mal !

Dans les rares polémiques odieuses que j'ai connues - celle, par exemple, sur mon tweet "Bamboula" où, durant huit jours, j'ai été insulté avec une grossièreté inouïe et, bien sûr, ostracisé, parce que la liberté d'expression n'est vantée que dans les dîners en ville et par des médias ne défendant que la leur -, je ne me suis pas excusé. Je me suis expliqué.

J'ai mesuré qu'avec ma liberté qui renvoyait à des expériences très anciennes, j'avais pu offenser alors que mon intention était aux antipodes de cette blessure. Mais je n'avais aucune raison de rétracter ce qui n'était ni honteux ni grossier.

Les controverses sur la colonisation française et l'existence ou non de la culture française n'ont pas conduit le président de la République à l'excuse mais à l'explication. On a pu être mal compris ou on n'a pas été assez clair : alors, on précise, on complète, on réagit, on répond.

Je hais les excuses. Je hais les "J'assume", au fond trop confortables.

La liberté de penser, d'écrire, de parler, ce n'est pas n'importe quoi dans l'instant pour avoir à le réparer demain. C'est, au contraire, ne rien dire aujourd'hui qu'on ne puisse pas défendre, justifier demain.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois