Laurent Gerra, vache sacrée de la droite médiatique

Laurent Gerra, en couverture du Figaro Magazine, est qualifié d'"esprit libre" et a droit à un reportage de dix pages, photographies comprises. Un portrait qui ne lésine pas sur l'hyperbole. Pourquoi pas ?

Dans ses interventions et ses dénonciations, j'admets volontiers qu'il y a beaucoup de grain à moudre, que parfois on se régale, que Laurent Gerra est lucide sur notre modernité et sur la bêtise qui domine, que sa vision de la société et que ses goûts culturels sont pertinents et que je ne saurais que l'approuver quand on l'interroge sur "réactionnaire" et qu'il répond : "Lorsqu'on me pose cette question, je réponds que réagir, c'est honorable. Et que préférer Mozart à JoeyStarr, ce n'est pas être réac, c'est avoir du goût."

Qui pourrait donner tort à Laurent Gerra sur ce plan ? Et si son exposition royale est destinée à faire lire de telles évidences mais qui, dans notre monde, peuvent apparaître pour des provocations, pourquoi pas ?

Faire preuve d'une immense sympathie à son égard parce qu'il raffole de la grande cuisine et qu'il est ami avec de grands cuisiniers, pourquoi pas ?

Apprécier que, pour une fois, nous ayons un artiste talentueux de droite, qu'une personnalité admirée et suivie par beaucoup de Français ne se sente pas obligée d'entonner tous les poncifs de gauche et de porter sur ses épaules toute la misère du monde, pourquoi pas ?

Pourquoi, alors, ai-je du mal à exprimer ce qui me trouble dans cette hagiographie médiatique ?

D'abord parce qu'il y a hagiographie et que, sans être aigre ou pervers, on aimerait que soit jetées sur ce tapis de roses quelques acidités. Le rôle de saint Gerra ne convient vraiment pas à son personnage, et tant mieux d'ailleurs !

Ensuite parce que je suis de plus en plus exaspéré par l'enfermement des médias conservateurs dans un univers un tantinet étriqué, qui a ses quelques vaches sacrées, qu'elles aient un prodigieux talent ou non - rares sont les Luchini ou les Finkielkraut -, systématiquement sollicitées et exploitées qui reviennent régulièrement pour dire, au fond, toujours la même chose.

Et à force, leur pensée et leurs opinions deviennent ennuyeusement prévisibles. Il me semble que la droite médiatique tourne en rond en se vantant aisément de sa tolérance puisqu'elle ne réunit que des esprits qui peu ou prou sont sur la même ligne.

Laurent Gerra est l'une de ces vaches sacrées.

Ce rétrécissement me paraît aux antipodes de la liberté des intelligences et du pluralisme qui était longtemps une spécialité de la droite, alors que la gauche intellectuelle proposait rarement autre chose que du dogmatisme ou de l'exclusion. Je me demande si, aujourd'hui, la balance sur ce plan n'est pas devenue plus égale.

Je reviens à Laurent Gerra qui, dans la tribune qui lui est offerte et dont il use souvent avec justesse et pétillement, n'hésite pas à accabler, "le niveau des animateurs étant quand même très bas"... Laurent Ruquier, qui l'a traité de "con"... Cyril Hanouna, qui ne serait qu'un "bateleur"... Thierry Ardisson, qui serait "la vraie vulgarité"...

Je me demande s'il n'est pas un peu schizophrène. En effet, imaginons que nous n'ayons pas pu découvrir un autre Laurent Gerra, aurait-on été tenté de le distinguer, dans ses activités artistiques, d'un Thierry Ardisson que j'aime bien sans qu'il soit toujours raffiné dans ses prestations, d'un Laurent Ruquier ou même d'un Cyril Hanouna sympathique et actuellement repenti ? Son remarquable talent d'imitateur, les paroles qui sont mises dans sa bouche et dont l'élégance n'est pas la tonalité principale ne le constituent pas comme un artiste à part : il est dans le groupe de ceux qu'il dénigre !

J'ai toujours considéré qu'aimer en bloc n'était pas forcément une qualité. Qu'on a le droit à la nuance, à la réserve même si le principal est acquis. Les inconditionnalités sont détestables partout.

J'en suis loin.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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