Le docteur Laurent Alexandre redit sa positon favorable à la vaccination et analyse avec nuance et indulgence les erreurs et les revirements des décideurs politiques dans la gestion de la crise.

 

Le passe sanitaire est effectif aujourd’hui, au moins dans les lieux culturels et touristiques.

Vous êtes un militant farouche de la vaccination contre le Covid-19.

Selon vous, la mise en place de ce passe est-elle nécessaire ou est-ce une aberration politique ?

 

Nous n’avons pas énormément le choix. Nous avons sous-estimé la dangerosité en termes de transmission du variant Delta. En Angleterre, nous sommes rapidement arrivés à 50.000 contaminations par jour. En France, nous observons une croissance exponentielle et avons observé 21.000 contaminations depuis 24 heures. La croissance très rapide exige des mesures douloureuses. Comme le taux de vaccination n’est pas encore très important, nous n’avons pas vraiment le choix.

 

 

Le variant Delta est extrêmement contaminant. Néanmoins, il développe des formes peu graves et nous observons un très faible nombre de décès et d’hospitalisations. Pourquoi mettre en place un passe sanitaire alors même que le Covid-19, dans l’état actuel des choses, ne tue plus ou très peu ?

 

N’oubliez pas qu’il y a un décalage important entre les contaminations, les entrées en réanimation et les morts. Le jour où nous avons mis en place le confinement, en mars 2020, il n’y avait que 27 morts par jour. Les morts sont arrivés plus tard. On ne meurt pas le jour où on est contaminé, mais entre trois semaines et cinq semaines après la contamination. Aujourd’hui, il y a très peu de morts, mais la vague des morts va arriver plus tard. Nous sommes au-dessus de 80 % de vaccinés chez les personnes les plus âgées.

 

 

La faible létalité du variant Delta est-elle due à la vaccination ou le variant en lui-même est-il moins nocif ?

 

Lorsqu’on regarde les données dont on dispose aujourd’hui, on ne peut pas avoir de certitudes absolues. Nous avons l’impression qu’il n’est pas moins dangereux que les autres, même s’il donne des symptômes un peu différents. Il est vrai que la mortalité est plus faible pour deux raisons.

Premièrement, il y a le décalage dont je parlais entre les contaminations, les entrées en réanimation et les morts.

Deuxièmement, nous avons une diminution de la mortalité due à la vaccination. Même si la vaccination ne protège de la mort qu’à 94 %, c’est tout de même une baisse significative. Par conséquent, pour une vague identique, il devrait y avoir nettement moins de morts à l’heure actuelle, parce qu’on a vacciné une partie importante des plus fragiles.

 

 

On met en place un passe sanitaire donc on exclut une partie de la population de la plupart des lieux de vie. Et en même temps, on ne dispose pas de doses nécessaires pour vacciner l’autre moitié de la population. Cela reflète-t-il un problème politique majeur depuis le début de la gestion de cette crise ?

 

Aujourd’hui, nous avons un nombre de doses important. Au moment où nous parlons, il y a 7 millions de doses disponibles dans les frigos. Il va y avoir plus de 4 millions de doses chaque semaine. Par conséquent, il n’y a pas de pénurie de doses. Il peut y avoir des difficultés à avoir un rendez-vous puisque certains centres de vaccination sont saturés, surtout en période estivale, et notamment dans les endroits où il y a beaucoup de touristes, comme le littoral. On ne manquera pas de doses et tout le monde pourra être vacciné d’ici fin août.

 

 

 

À titre personnel, êtes-vous vacciné ainsi que l’intégralité de vos proches ?

 

La totalité de ma famille est vaccinée. Ma maman est vaccinée, ma femme est vaccinée et tous mes enfants sont vaccinés, y compris le plus jeune âgé de 15 ans. J’applique à ma famille ce que je préconise pour les autres. Je pense qu’il faut vacciner tout le monde au-dessus de 12 ans. Je n’étais pas favorable à la vaccination obligatoire parce que je pensais que la conviction pouvait l’emporter sur la coercition. Devant l’accélération de la quatrième vague et du variant Delta, le président de la République a choisi la vaccination quasiment obligatoire. Cette mesure se comprend, vu le nombre de contaminations journalières de cette semaine.

Il y a eu beaucoup d’erreurs. N’oubliez pas que l’OMS était, au départ, contre le masque. Celui qui se présentait comme le principal expert du Covid expliquait au gouvernement qu’il ne fallait pas s’inquiéter pour trois Chinois qui meurent. Je parle, bien évidemment, de Didier Raoult. Cela faisait apparemment moins de morts que les accidents de trottinettes…

Il y a donc eu des erreurs de pilotage. Il y a eu une erreur du président de la République sur l’intérêt de la vaccination à l’automne et je l’ai souvent dit. Je pense que les gens étaient sincères au moment où ils se trompaient. Nous avons été dans le brouillard et nous voyons à quel point Didier Raoult a pu se tromper. Des experts autoproclamés se sont eux aussi beaucoup trompés. Il faut donc être indulgent vis-à-vis des gens qui décident. La politique, c’est compliqué. On est souvent obligé de gouverner, de choisir, de décider dans le brouillard. C’est ce qui s’est passé.

Lorsqu’on regarde rétrospectivement, les gens ont beaucoup changé d’avis. Regardez les leaders politiques. Décider dans le brouillard de la guerre, c’est compliqué. Une guerre contre les virus est une guerre particulière, mais c’est une guerre.

Je pense que l’on peut appliquer le brouillard de la guerre aussi à la guerre contre les microbes et les virus.

6002 vues

22 juillet 2021 à 17:54

Partager

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.

Les commentaires sont fermés.