Laissez-nous donc un peu d’humanité pour enterrer nos morts !

cercueil

La mort. Omniprésente dans les médias, et pourtant… Hier une certitude humblement acceptée, aujourd’hui une hypothèse crânement refoulée.

Nous ne voulons plus mourir, sans doute parce que nous ne croyons plus en rien de transcendant. Voilà, en effet, bien des décennies que nous avons chassé la mort de nos vies en poussant nos vieux vers les EHPAD et nos malades à l’hôpital. La fin de vie n’est plus une vie, tout juste un rendez-vous à la morgue : suivez les flèches, c’est au bout de tout, là où personne ne va de son plein gré, entre la buanderie et le local aux poubelles.

La mort est devenue un déchet comme un autre et la peur de la mort une source de comportements indignes. Combien de soignants, qu’on présente chaque soir en héros, reçoivent ainsi dans leur boîte ou sur leur porte des messages – courageusement anonymes – les enjoignant de déguerpir ?

La mort n’est plus qu’un chiffre égrené chaque soir. Devant sa télé le quidam pousse des oh !, espérant que tout cela ne demeurera pour lui qu’une image sur l’écran.

On meurt, pour l’instant pas davantage en nombre qu’en un hiver de méchante grippe, mais la Faucheuse occupe toutes les conversations. Au fond, l’effrayant tient moins dans le nombre de morts que dans la manière dont on meurt : seul, sans revoir sa famille, sans revoir les amis, sans pouvoir dire adieu, sans obsèques dignes de ce nom.

Paradoxe : plus on a chassé la mort du paysage, plus l’expression « faire son deuil » est mise à toutes les sauces. Or, c’est de cela qu’on nous prive aujourd’hui : le deuil.

Par un décret du 27 mars, le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales a imposé des restrictions aux familles : les cérémonies d’obsèques sont réservées au premier cercle, soit un maximum de vingt personnes. Plus douloureux : seule une personne peut voir le corps avant la mise en bière ; sans l’approcher, sans le toucher. Un regard seulement sur celui qui nous quitte, « déjà dans la bâche, le zip légèrement baissé… » Pour les mêmes raisons, les affaires personnelles sont brûlées.

Alors ? Alors, la mort devient encore plus virtuelle et, comme titre Marianne, « Visioconférences, espaces numériques de souvenirs… Face au coronavirus, les obsèques prennent un tournant 2.0 ». On propose ainsi la retransmission des obsèques en vidéo, filmées sur son smartphone par un proche ou bien un employé des pompes funèbres. C’est un business model qui se rôde. Il a de l’avenir. De même fleurissent les « espaces numériques du souvenir », des sites dédiés seulement accessibles aux familles qui peuvent en demander ensuite une impression papier : 160 euros l’exemplaire d’origine, plus 50 euros par tirage supplémentaire. On planche aussi sur « des “célébrations souvenirs” créatives plusieurs mois après l'inhumation ».

Le problème, dans les régions les plus touchées par le Covid-19, est la conservation des corps. Comme lors de la canicule de 2003, on a installé des morgues temporaires. C’est le cas à Rungis, où un entrepôt frigorifique a été réquisitionné pour décharger les services funéraires d’Île-de-France. Or, et c’est un pur scandale, pour que le corps puisse être conservé une semaine, il faut aux familles payer 250 euros, dont 150 euros de droit d’inscription. De plus, souligne, indignée, la directrice des Pompes funèbres de France : « En France, on a six jours pour inhumer une personne. À partir de là, à Rungis, on facture une journée supplémentaire 35 euros. Si la famille veut venir se recueillir, on lui laisse un espace pendant une heure pour cinquante et quelques euros. Pour nous, expliquer aux familles qu'on est obligé de facturer cet endroit, c'est quand même très particulier. »

On nous l’assure : après la pandémie, plus rien ne sera comme avant.

Sans doute en sera-t-il fini de la mort « en live », place à la mort sur écran. Totalement dématérialisée. Totalement déshumanisée.

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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