La France se voile la face devant les condamnations à mort en Arabie saoudite

Arabie saoudite

Le prince héritier d'Arabie saoudite est fréquentable : en avril, après les États-Unis, il s'est rendu en France où il a été reçu par Emmanuel Macron. Sans doute pour préparer la reconversion post-pétrolière de son pays, mais surtout pour valoriser son image de réformiste. N'a-t-il pas récemment autorisé les femmes à conduire ? Dans une conférence à Riyad, en octobre 2017, il assurait vouloir "retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions" – ce qui semble signifier que ce n'est pas encore le cas.

Si l'Arabie saoudite détient des records, ce n'est pas seulement dans la production d'hydrocarbures, c'est aussi dans le nombre de condamnations à la peine capitale : plus de 50 exécutions dans les quatre premiers mois de l'année. Ce prince, qui promeut sa modernité, accompagne ses mesures réformistes – dont il faut mesurer la relativité – d'une répression impitoyable contre toute dissidence. Ne trouve grâce à ses yeux que ce qui répond à sa volonté.

On apprend, ainsi, que la peine de mort vient d'être requise contre cinq militants des droits de l'homme, dont une femme : Israa Al-Ghomgham, militante chiite, accusée d’inciter à la contestation et d’apporter un soutien moral à des émeutiers. Il ne fait pas bon être chiite dans un pays à 97 % sunnite. On se croirait aux pires heures du stalinisme. C'est la première fois, semble-t-il, qu'une femme encourt la peine capitale pour un tel motif. En Arabie saoudite, les femmes peuvent conduire, mais elles restent sous tutelle et ce n'est pas demain la veille qu'elles pourront s'opposer à la politique du gouvernement.

Cette affaire a suscité la réaction de plusieurs groupes de défense des droits de l'homme. La directrice de Human Rights Watch (HRW) au Moyen-Orient a déclaré :

"Toute exécution est effroyable, mais demander la peine de mort pour des militants comme Israa Al-Ghomgham, qui ne sont même pas accusés de comportement violent, est monstrueux
."

Il n'est pas certain que ces protestations émeuvent les institutions internationales : en 2015, l’Arabie saoudite n'a-t-elle pas été promue au Conseil des droits de l’homme de l'ONU ? Elle y rejoint même, cette année, la Commission de la condition de la femme ! C'est un peu comme si on choisissait un parrain de la Mafia pour veiller à la transparence de la vie publique.

Force est de constater que la plupart des pays occidentaux, à commencer par la France, feignent d'ignorer ces atteintes répétées aux droits de l'homme ou se contentent d'énoncer diplomatiquement quelques réserves sans effet. Il ne faut surtout pas risquer d'avoir de mauvaises relations avec un pays qui est un bon partenaire commercial et qui occupe une place économique et stratégique utile aux puissances occidentales. Qui s'aventurerait à dire que l'Arabie saoudite, comme d'autres pays du Moyen-Orient, est restée, dans certains domaines, dans l'obscurantisme et que cet obscurantisme est directement lié à leur lecture de l'islam ?

Nos bien-pensants préfèrent s'attaquer à des proies plus faciles, comme Vladimir Poutine, et prendre des sanctions économiques contre la Russie. Du moment qu'on peut continuer de vendre des armes aux pays de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite et participer ainsi, indirectement, à la crise humanitaire causée par la guerre du Yémen ! On en vient à se demander si les pays qui se voilent les yeux devant la situation en Arabie saoudite ne sont pas plus coupables que le gouvernement saoudien lui-même.

Devant ces atteintes évidentes aux droits de l'homme, nos dirigeants se comportent, selon leurs intérêts, tantôt comme des pharisiens qui se donnent bonne conscience en condamnant la conduite d'autrui, tantôt comme des Ponce-Pilate qui s'en lavent les mains.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 21:06.
Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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