Avec la mort de Kirk Douglas, le 5 février 2020, s’en va le dernier des géants d’Hollywood. 103 ans : quel plus bel âge pour tirer son ultime révérence ? Bref, à l’heure où l’industrie du divertissement, qui fut toujours industrie avant de devenir industrie tout court, ce n’est pas une page qui se tourne mais un livre qui se ferme.

Kirk Douglas savait d’où il venait ; c’est-à-dire de pas grand-chose : Issur Danielovitch, son véritable patronyme, voit le jour en 1916. Il a six sœurs et son père n’est qu’un chiffonnier ayant fui l’antisémitisme d’État en cours dans sa Biélorussie natale : autant dire que ça trime dur à la maison, dans cette famille d’immigrés devenus américains. Avant de s’enrôler dans l’armée en 1942, il devient officiellement, et ce, pour l’administration, Kirk Douglas.

Fort, ou à cause, de ses origines, Kirk Douglas entame une carrière des plus singulières, puisque n’obéissant à aucune logique du genre. Il donne, certes, dans le western classique : sa composition en Doc Holliday, dans Règlements de comptes à OK Corral, de John Sturges (1957), est à tomber. Et il n’est pas mal non plus dans Le Dernier Train de Gun Hill, toujours du même John Sturges (1959).

Dans le même temps, il épouse la cause amérindienne en une époque où la mode n’est pas encore emplumée, tenant le premier rôle de La Captive aux yeux clairs, d’Howard Hawks (1952), et luttant contre une chasse aux sorcières hautement paranoïaque, menée par un demi-fou, Joseph McCarthy, venu du parti démocrate pour aller hanter le parti républicain et finir ensuite ruiné par l’alcool et l’opprobre publique. Ainsi, Kirk Douglas, à rebours du show-biz d’alors, par nature très prudent, fait-il sauter les barrières en engageant le scénariste Dalton Trumbo, mis sur liste noire, pour écrire Les Sentiers de la gloire, de Stanley Kubrick (1957), et le Spartacus, signé du même cinéaste, en 1960.

Osera-t-on dire que Stanley Kubrick est l’un des metteurs en scène les plus surestimés du septième art ? Oui. Les Sentiers de la gloire ? Une bouse antimilitariste – même si posant de bonnes questions quant à l’aveuglement mortifère de nos généraux « républicains » durant la Grande Guerre –, tandis que son Spartacus, aujourd’hui salué par la presse mainstream, demeure une meringue gonflée à bloc, faite de bric et de broc.

En revanche, Kirk Douglas a finalement la main plus heureuse lorsque s’aventurant dans les territoires de la bonne série B à l’ancienne. Son Ulysse, de Mario Camerini (1962), est l’un des meilleurs péplums jamais tournés. Son Vingt-mille lieues sous les mers, de Richard Fleischer (1954), demeure l’un des meilleurs – ou moins mauvais, c’est selon – films tournés sous l’égide de Walt Disney. Les plus cinéphiles de nos lecteurs – Dieu sait s’ils sont légion, sur ce site – iront encore dénicher deux autres pépites : Un homme à respecter, de Michele Lupo (1972), et Holocauste 2000, d’Alberto De Martino (1977). Le premier est l’un des meilleurs films de hold-up jamais réalisés et le second, une série B enfonçant tant d’autres films financièrement mieux dotés, est relatif au possible retour des forces des ténèbres en notre pauvre Terre.

Après, nous mettrons tous ces protagonistes d’accord en évoquant le seul western tourné par le génial Joseph L. Mankiewicz (All About Eve (1950), c’est lui) : Le Reptile (1970). Là, Kirk Douglas campe un voyou autrement plus digne qu’un Henry Fonda, Américain emblématique, mais se comportant comme le pire des filous. Ou de l’art de bouleverser les codes…

Pour finir sur une autre note positive, Kirk Douglas est le tenant du record du mariage le plus durable de la Cité des anges, avec Anne Buydens, épousée le 29 mai 1954 et aujourd’hui devenue à jamais sa veuve, nonobstant ses cent printemps. Respect.

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06 février 2020 à 16:46

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