Jean-Christophe Buisson : « L’Azerbaïdjan est un pays dictatorial et impérialiste »

My project (21)

Par la voix d’Ursula von der Leyen, l’Union européenne a annoncé, lundi, vouloir doubler ses importations de gaz naturel avec l’Azerbaïdjan. Pour rappel, c’est ce pays du Caucase qui avait en 2020 envahi l’Artsakh, une petite enclave arménienne dans le Haut-Karabagh. Les forces armées azéries, supérieures en nombre et en armes, avaient rapidement écrasé les défenses arméniennes et occupé les deux tiers de l’Artsakh, avant que la Russie ne se décide à intervenir pour ramener la paix. Jean-Christophe Buisson, grand reporter et directeur adjoint du Figaro Magazine, s’était rendu sur place et avait alarmé l’Occident sur les nombreux crimes de guerre commis par des soldats azerbaïdjanais. Pour Boulevard Voltaire, il revient aujourd’hui sur la décision douteuse de l’Union européenne d’accroître ses liens économiques avec l’Azerbaïdjan.

Geoffroy Antoine : Quel est le sens de la démarche européenne visant à doubler ses importations de gaz en provenance d’Azerbaïdjan ?

Jean-Christophe Buisson : C’est à la fois une démarche morale et économique. L’Europe va avoir besoin de gaz, sinon les Européens vont mourir de froid l’hiver prochain. Il est donc légitime de se tourner vers d’autres partenaires. Sauf que l’Union européenne se tourne vers un pays au profil identique à celui, décrié, de la Russie. L’Azerbaïdjan est un pays dictatorial et impérialiste, qui a conduit une guerre tout à fait barbare, l’an dernier, au mépris du droit international. Au sein même du pays, le président Ilham Aliyev poursuit toutes les oppositions et tous les défenseurs des droits de l’homme. Il n’est absolument pas plus fréquentable que Vladimir Poutine.

G. A. : Pendant le conflit du Haut-Karabagh, plusieurs crimes de guerre ont été perpétrés par des soldats azéris. L’Union européenne ferme-t-elle les yeux sur ces drames ?

J.-C. B. : La démarche de l’Union est complètement immorale. Il y a deux ans, c’est l’Azerbaïdjan qui bombardait des civils et des écoles, faisait venir des djihadistes de Syrie, utilisait des bombes au phosphore… On ne peut pas relativiser des crimes de guerre d’un côté et les condamner d’un autre. Des vidéos ont montré des soldats azéris en train de décapiter des civils, ils s’en sont même vantés ! Et on va se féliciter d’importer du gaz en provenance d’un tel pays ? Cette histoire est la honte de l’Europe.

G. A. : Existe-t-il des liens particuliers entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan qui justifieraient la négociation de ce nouveau contrat de gaz ?

J.-C. B. : Depuis de nombreuses années, on sait qu’il y a un énorme phénomène de corruption des élites politiques, médiatiques et économiques européennes par l’Azerbaïdjan. Un très gros lobbying azerbaïdjanais touche les politiciens européens afin de favoriser ce type de contrats économiques. À Malte, une journaliste qui enquêtait sur cette gigantesque corruption a été assassinée, il y a cinq ans. De Bruxelles à Paris en passant par Berlin, on retrouve une atmosphère favorable à l’Azerbaïdjan, atmosphère qui permet de relativiser en permanences les crimes de guerre commis par ce pays.

G. A. : Les proximités de l’Azerbaïdjan avec la Russie sont connues de tous. L’Union européenne ne joue-t-elle pas un jeu dangereux en alimentant un État qui gravite dans le giron de Poutine ?

J.-C. B. : Le grand champs gazier au sud de Bakou appartient majoritairement à une entreprise russe, Lukoil. On sait très bien que les entreprises russes privées, pour subsister, sont souvent très proches du pouvoir, c’est-à-dire de Vladimir Poutine. Donc, en plus de renforcer un pays dont les valeurs sont très éloignées de celles qu’Ursula von der Leyen est supposée incarner, on va continuer de donner de l’argent à la Russie. C’est du grand n’importe quoi.

G. A. : Dans ce jeu géopolitique complexe qui voit s’opposer Occident et Russie, l’Azerbaïdjan semble être un grand gagnant. Qui sont les véritables perdants ?

J.-C. B. : Le petit peuple arménien de l’Artsakh est le grand perdant de cette histoire. Ce sont eux qui pâtiront le plus de tout cela, ils ne seront plus qu’une variable d’ajustement au sein du jeu géopolitique des grandes puissances. Après tout, qu’est-ce que 120.000 habitants, sans aucune ressource économique majeure ? Tout cela est bien triste. Pour les avoir rencontré, ces gens sont d’une simplicité extraordinaire. Artisans, fermiers, éleveurs, ils n’ont aucune prétention expansionniste et ne veulent qu’une chose : vivre en paix sur leur terre.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois