S’il existe véritablement une « exception à la française », c’est bien notre droit du travail. Un phénomène en soi, l’une de ces merveilles symbolisant jusqu’à l’absurde cette protection sociale dont nous nous gargarisons et que nous ne cessons de brandir à la face du monde.

Spécialité bien française, en effet, la philosophie qui plane sur notre code est la même qui imprègne tous nos rapports sociaux : l’employé est l’éternelle victime du salaud de patron, tout comme le locataire est l’éternelle victime du salaud de propriétaire, l’immigré l’éternelle victime du franchouillard de base et la femme l’éternelle victime du complot machiste… Ad libitum. La chose peut se décliner à l’infini des misères de chacun.

C’est donc avec cette vision bien particulière que la cour d’appel de Paris a confirmé la décision du tribunal des affaires de Sécurité sociale de Meaux, entérinant le fait que M. Xavier X., technicien de l’entreprise TSO, envoyé en mission dans le Loiret pour y réparer des voies ferrées et mort le 21 février 2013 dans les bras d’une inconnue devenue pour une nuit sa maîtresse, est bel et bien mort d’un accident du travail.

La CGT le dit et le répète à longueur d’antenne : les cadences infernales sont mortelles. Même au pieu. La preuve.

C’est Le Monde qui raconte : « Le soir, au lieu de rentrer à l’hôtel qui lui a été réservé, [Monsieur Machin] raccompagne une femme à son domicile. En plein acte sexuel, il meurt d’une crise cardiaque. La dame appelle la gendarmerie, qui prévient l’entreprise, basée à Chelles (Seine-et-Marne), TSO signale le décès à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). »

Le Monde est du côté du plaisir, je veux dire du salarié, et nous expose d’emblée le fond du problème : « En cas d’accident du travail, la CPAM verse une rente aux ayants droit du défunt : 25 % du salaire brut annuel, pour les deux premiers enfants, jusqu’à l’âge de 20 ans ; 20 % pour les suivants ; 40 % du salaire annuel brut pour le conjoint survivant jusqu’à 54 ans. » Ce n’est que justice ! clame le peuple qui pense au grutier chu de son engin et qui laisse au sol la veuve et quatre orphelins. Et les salauds de patrons rechignent à payer, forcément, car « cette rente est financée par les cotisations des entreprises à l’assurance accidents du travail et maladies professionnelles ». Taux qui est fonction de leur « sinistralité ». Conclusion du Monde : « TSO n’a donc pas intérêt à ce que le sinistre soit considéré comme un accident du travail. »

Salaud, ce TSO qui rechigne à voir dans une copulation adultère et furtive la poursuite de la mission confiée à son salarié !

Car tout est dans ce mot, « mission ». La CPAM du Hainaut, institution responsable qui manie la nuance avec subtilité, le décrète le 4 juillet 2013 : M. Schmoldu est victime non point d’un accident du travail mais d’un « accident de mission ». Une jurisprudence constante, nous dit-on, assure en effet que « le salarié effectuant une mission a droit à la protection prévue par l’article L411-1 du Code de la sécurité sociale “pendant tout le temps de sa mission”, et “peu importe que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante” ». Et, donc, ce monsieur était en mission dans le lit d’une rencontre d’un soir. Subtils, les juristes estiment que tout accident survenu « par le fait ou à l’occasion du travail » est un accident du travail et dispense, de ce fait, la victime d’apporter la preuve d’un lien de causalité entre les deux. C’est au salaud d’employeur exploiteur des masses laborieuses d’apporter la preuve – impossible – qu’il s’agissait d’un acte de la vie courante sans lien avec la mission.

La Justice s’est sans doute interrogée : M. Machepro n’était-il pas un espion chargé de recueillir sur l’oreiller les secrets de fabrication du rail de demain ? Si oui, il l’aura payé de sa vie. Il mérite une médaille. Requiescat in pace. Amen.

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01 octobre 2019 à 11:53

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