Hubert Védrine chez Sonia Mabrouk : « Les Occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance »

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Jeudi matin, Hubert Védrine était l’invité de Sonia Mabrouk sur Europe 1. Ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin sous la présidence de Jacques Chirac, fils d’un ami proche de François Mitterrand, Hubert Védrine a souvent porté la voix du pragmatisme, de la realpolitik contestant par principe les postures et le manichéisme dans un domaine fort complexe. Il tacle, ainsi, ceux qui ont aujourd’hui remplacé les virologues de plateau : « Depuis 70 ans, on entend parler du nouveau Munich, du nouvel Hitler, c’est une attitude de va-t-en-guerre personnels, égotistes. C’est paresseux, en fait. Plaquer sur aujourd’hui des éléments du XXe siècle, ça ne fonctionne pas tout à fait. Il peut y avoir des éléments de comparaison, mais ça n’explique pas la situation actuelle. Ça ne donne pas de pistes pour préparer l’avenir. » BHL renvoyé dans ses buts.

Il reprend à son compte la dialectique macronienne : « Nous ne sommes pas en guerre avec le peuple russe, avec les Russes », tentant de dissocier le peuple russe de son chef. Or, la force inouïe des sanctions qui frappent la Russie - et singulièrement les oligarques russes - dévoile en creux la stratégie de l’OTAN : retourner contre Vladimir Poutine le peuple russe – sanctions économiques lourdes, mais aussi sanctions culturelles et sportives humiliante pour ce peuple. Il n’y a qu’à voir les sportifs russes et bélarusses handicapés privés de Jeux paralympiques ou encore, toujours plus loin dans la posture absurde, ce cours sur Dostoïevski annulé dans une université milanaise au motif que cela pourrait créer des troubles.

La question est de savoir si ces sanctions ne vont pas avoir d’effet boomerang et resserrer les rangs du peuple russe, humilié par l’Occident, autour de son dirigeant. Sans compter que l’économie occidentale, mondialisée, sera elle-même durement atteinte par ses propres sanctions, après deux ans de crise sanitaire et économique.

L’ancien ministre prévient : « Il ne faudrait pas qu’il y ait la coalition des émergents, la coalition des sanctionnés, la coalition Chine Russie. »

À la question de savoir si on aurait pu faire autrement, lui qui a souvent évoqué Kissinger disant qu’il fallait, depuis la fin de l’URSS, traiter la Russie autrement et ne pas forcément élargir l’OTAN botte en touche et répond que cela ne peut plus être dit aujourd’hui dans le débat public : « Pas en ce moment, pas à chaud, l’urgence qui s’impose est de résister et de faire comprendre à Poutine qu’il commet une erreur absolument tragique pour les Russes et pour tout le monde. C’est ça, l’urgence. Le reste viendra après […] Ce débat, qui a eu lieu, reviendra. Mais pas maintenant. On aurait pu éviter ce qui s’est passé mais il y a eu aussi l’engrenage russe, le nationalisme qui a été réveillé, attisé. » Une prudence qui s’explique certainement par la rapidité avec laquelle la classe politique mais surtout médiatique pratique la reductio ad putinum envers tout intellectuel tentant d’apporter un semblant d’explication du point de vue russe à seule fin de mieux évaluer la portée de l’offensive poutinienne. Il rappelle, tout de même, que Bush père et son secrétaire d’État James Baker avaient promis à Gorbatchev que l’influence de l’OTAN ne s’étendrait pas vers le glacis russe, et que Gorbatchev avait toujours déploré avoir été floué à ce sujet. On pourrait avec le général Lalanne-Berdouticq rajouter que « les Alliés mais surtout les Américains, non seulement favorisèrent l’entrée dans l’OTAN des anciens membres extérieurs du pacte de Varsovie, mais s’engagèrent dans le démantèlement de la Yougoslavie. Le pire fut commis en 1999, lors de la campagne du Kosovo sur laquelle nous reviendrons car elle est la matrice de la contre-attaque russe. »

« [...] Mieux, les Alliés imaginèrent de changer le régime politique de certains des pays du « glacis vital » russe au nom du « devoir d’ingérence » pour étendre leur propre vision de la démocratie. »

Mais revenons à Hubert Védrine : selon lui, ce qui se passe en Ukraine a ressuscité non pas l’Union européenne mais l’OTAN, et cela aura des conséquences bien plus grandes que le 11 Septembre.

Les sanctions sont-elles un moyen de gagner la guerre contre Poutine ou sont-elles un aveu de faiblesse ? Son constat est sans appel : « Dans des démocraties qui ont très peur de risquer des vies humaines dans des conflits, la machine à sanctionner s’est emballée. Un aveu d’impuissance ? Oui, parce que nous n’avons pas d’autres moyens dans les rapports de force. Nous n’avons pas d’autre choix, aucun pays de l’alliance ne veut devenir co-belligérant, sauf si Poutine veut nous y obliger. »

Rappelons d’ailleurs, à ce sujet, que la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine demandent de rentrer dans l’Union européenne : si ces demandes étaient acceptées, nous n’aurions d’autre choix que d’entrer directement en guerre.

Enfin, et ce n’est pas le moins terrible de ses constats : « Les Occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance, les puissances installées occidentales veulent conserver leurs positions, les puissances montantes veulent imposer leurs places et peut-être refaire un système occidental différent de celui des Américains de 45, et des années 80. »

Une observation sévère et réaliste qui, dans l’inflation médiatique de surenchères et de rodomontades à laquelle nous assistons, souvent au détriment de nos propres intérêts, ne nuit pas.

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

Vos commentaires

38 commentaires

  1. Je dirais même plus : les occidentaux n’ont plus le monopole de l’éthique … Dans cette crise, j’ai beau y réfléchir longuement, j’ai du mal à me représenter dans le camp du bien. Et le fait d’être constamment sollicité par une manipulation de tous les medias mainstream vue précédemment lors de la prise du Covid ne me rassure pas !

  2. Merci pour cet article. On ne peut plus ni lire ni regarder aucun autre média tant la propagande US.UE est hurlante. On imagine un dialogue qui aurait pu avoir lieu l’année dernière. – Le fils Biden : « Papa, tu veux priver l’Europe d’énergie ? Facile. Tu écoutes un dénommé Zelenski bien placé à Kiev. Ça ne peut pas rater.»

  3.  »faire comprendre à Poutine qu’il commet une erreur absolument tragique pour les Russes et pour tout le monde ».? Phrase typique d’un diplomate : bien tournée, précieuse et …creuse ; car il ne dit pas comment  »faire comprendre » si ce n’est ni par les sanctions économiques ni par les actions militaires. Du Védrine dans le texte. Quant à la perte de puissance de l’Occident c’est déjà arrivé face aux Huns, aux barbares germaniques, à l’islam du VIIe siècle. Bien parler n’est pas dire…

    • BRAVO ! c’est tout à fait vrai ! marre de tous ces professionnel du mensonge par omission ou autre , ces  » diplomates » retors- pervers qui sont inaptes à parler vrai et franchement (  » je sais tout mais je ne dirai rien  » ), qui se gargarisent avec nombrilisme de leur art du VERBE tordu de sous-entendus qui ne veulent rien dire, comme le chirurgien énigmatique qui daigne délivrer une parole après l’opération  » tout s’est bien passé  » et motus sur les détails concrets….au diable , l’énigme à

    • suite : le temps de l’humain est précieux : certains s’amusent à faire perdre aux autres trop francs et honnêtes ( on dit naîf et simplet, désormais ) leur temps à essayer de résoudre des énigmes ( les « cracks » CM2 du problème de baignoire qui fuit ? ) juste pour exercer leur domination de mâle alpha et masquer leur concrète incompétence..

    • Pas faux que « Bien parler n’est pas dire… ». Mais de tous les « experts », Védrine a facilement raison. Est-il le seul à « tourner des phrases »?
      Exemple de belle phrase creuse : Mme Parly : « soit l’Europe fait face, soit elle s’efface »: allitération qui fait son petit effet mais c’est quoi « l’europe-qui-fait-face » ? Elle n’en est pas dupe : il ne lui reste plus qu’à se payer, et nous payer de mots.

  4. On aurait apprécié les mêmes réactions médiatiques et les mêmes sanctions commerciales envers les pays du Golfe qui animent et financent le terrorisme islamiste qui tue sur nos terres depuis des années.

  5. Tout est fait en France pour brouiller les cartes et conduire le peuple dans des élections jouées d’avance. Nous ne sommes plus en démocratie. Les informations sont tronquées et fortement orientées pour nous impliquer dans une guerre qui serait évitable à condition de vraiment le vouloir, mais on a l’impression du contraire parce qu’il faut un bouc émissaire à ceux qui nous dirigent et font partie du camp des saints.
    Les prochaines élections seront la minute de vérité .

  6. Excellent. Mais le cœur du conflit n est pas dit. Le dollar monnaie unique des échanges commerciaux cles. Les pays abondants de produits souhaitent sortir de ce monde dollar des clients géants le veulent aussi. Le bras de fer est encours

  7. Une fois de plus, le camp du bien , dont les USA sont le fer de lance et le modèle idéologique, s’autorise à revoir le réel selon le prisme du progressisme. Le peuple russe va en souffrir. Nous allons en souffrir. Les Ukrainiens en meurent. Et allons-nous continuer encore cinq ans avec Macron?

    • Je n’ose imaginer un nouveau quinquennat avec Macron.
      Une réélection lui donnerait des ailes.
      Et nous serions fichus.

    • L’actualité s’accélère et personne ne peut aujourd’hui évaluer l’ampleur de ce que nous allons traverser. En particulier dans le domaine boursier et financier, Charles Gave semble pessimiste sur les contrats à terme pour lesquels les banques francaises seraient parmi les plus exposées au monde. A croire que 2008 n’a servi de leçon à personne … Il faut dire que les banquiers n’ont pas à se gêner, ils ont l’un d’entre eux à l’Elysée …

  8. (suite) Les USA ont essayé de passer par l’Afghanistan avec le succès que l’on connait alors maintenant ils essayent de forcer le passage par l’Ukraine.Pour l’instant ils ont gagnent sur d’autres points, séparer l’Europe de la Russie car cet ensemble serait rapidement la première puissance mondiale, ils ne peuvent attaquer militairement la Russie sans conséquence cataclysmiques, alors ils attaquent l’économie Russe.

  9. Cette guerre est encore une guerre pour le contrôle des hydrocarbures de l’Asie centrale.
    Chaque fois qu’il est question de démocratie il ya une forte odeur d’hydrocarbures. Si l’Ukraine rejoignait l’OTAN, la prochaine étape serait la Géorgie puis l’Azerbaijan.
    Il est évident que la Russie ne peut pas accepter. Le projet US depuis des décénniesest de controller les ressources énergitiques mondiales Cf ( Gouvernance Mondiale de l’énergie) avec comme agent SOROS. ( suite)

  10. Les occidentaux n ont plus le pouvoir c est clair, ils n ont penses qu au PIB, qu à la,croissance etc… plus aucune valeur à part celle de l argent, ils veulent tenir tête à la Russie alors qu ils sont envahit , la France en particulier qui est colonisée, ou des pans entiers du pays sont ingérables et incontrôlables , on est deux doigts d une guerre civile. Nos pays sont à la merci des reptiliens mondialistes qui dictent leurs lois à l’Europe après le Covid , la guerre en Ukraine

  11. Merci de ces précisions courageuses et prudentes. L’univers médiatique occidental est saturé de fausses informations, comme cela a été organisé pour la Syrie, le Kosovo et autres. C’est la grande force occidentale. Oubliée la guerre tempête du désert en vidéo 24/24 depuis les avions de chasse et leur précision chirurgicales? Oubliées les fausses erreurs de tir en Syrie quand il s’agissait de protéger les combattants de DAESH d’un encerclement par les troupes Syriennes? En avons-nous assez?

  12. Hubert Védrine à été un des meilleurs pour ne pas dire le meilleur ministre des affaires étrangères de la France (bien que socialiste ), il avait refusé la meme place sous le gvt de Sarkozy .IL a une vision très réaliste des évènements en Ukraine et il sait ménager la chèvre et le choux , je le considère comme un homme de valeur .Sous le régime mittereux , malheureusement il était « bridé  » par tonton .

  13. Heureusement il y a des voix « impactantes » qui osent critiquer cette hystérie médiatique qui ne semble vivre qu’en se réjouissant des crises avec ses pseudos experts qui n’ont en fait deux spécialistées : désinformer et semer la peur.
    Les mêmes ressorts que pour le covid sont en route et en pire chacun y va de sa punition souhaitant qu’elle soit plus mortifère que celle des autres…
    Ce conflit est complexe en effet et se résumer à des sanctions sans proportionnalité est un risque…

    • Jusqu’à France Musique qui nous inflige, en bannissant la musique russe, une émission sur Prokofiev, qui était ukrainien…

  14. Le pacifique peuple russe a été de tout temps humilié, opprimé (la horde d’or, les tartars, les bolchéviks …
    Il a maintenant un chef russe: Poutine et se reconnait dans ce chef. Védrinne a raison.
    Lisez le passionnant ouvrage d’Alexandre SKIRDA, « Les Russies inconnues, Rouss, Moscovie,Biélorussie,Ukraine et Empire Russe », édition VETCHE, tout deviendra plus clair.
    Quant à l’U.E et l’Otan mieux vaut ne pas parler de ces rapaces à la solde d’un autre continent !

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