Guerre en Ukraine : l’opinion publique italienne serait-elle en train d’évoluer ?

CHARS UKRAINE

Sur la guerre en Ukraine, les analyses les plus réalistes viendraient-elles d’Italie ? Depuis quelque temps, si la condamnation de l’invasion russe reste unanime, si les efforts humanitaires en direction des Ukrainiens n’ont pas faibli, quelques voix critiques et réalistes s’élèvent, en Italie, contre une guerre qui s’enlise et dont on réalise, mais un peu tard, que les conséquences pour l’Europe vont être dévastatrices.

C’est d’abord le général Leonardo Tricarico, ex-chef d’état-major de l’armée de l’air, qui met en garde, depuis plusieurs semaines, contre l’attitude inconsidérée des va-t-en-guerre de tout poil. Ainsi a-t-il déclaré, au micro de Radio Radio, le 28 avril dernier : « En ce moment, tous les pays de l’OTAN trahissent l’esprit du traité de l’Atlantique Nord, car s’ils ont la patience de se pencher sur l’article 1, il est écrit que tout le monde s’engage à régler pacifiquement les différends qui pourraient les affecter : vous pensez que quelqu’un essaie de le faire ? » Et de poursuivre : « Je crois que nous avons tous perdu la lumière de la raison […] je ne vois plus de sagesse, je ne vois plus de focalisation sur les intérêts nationaux, je ne vois plus une miette de realpolitik. […] Aujourd’hui, invoquer l’esprit du traité de l’Atlantique Nord, c’est faire en sorte que tout cela s’arrête. »

Déclarations renforcées par celles du général Marco Bertolini, ancien chef du commandement opérationnel des dirigeants interarmes et ancien patron de la légendaire Brigata Folgore, la brigade parachutiste des forces spéciales italiennes, cité dans le blog Strategika : « Jusqu’à présent, la Russie n’a pas frappé un pays de l’OTAN, puisque l’Ukraine n’est pas membre de l’Alliance, et même l’évocation d’une telle possibilité ne fait qu’envenimer les esprits et réduire les possibilités de réconciliation, que je considère comme indispensables. Je répète : “indispensables”. »

Alors, lorsque le général Tricarico a entendu les récentes déclarations de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, au journal Welt am Sonntag, son sang n’a fait qu’un tour. Cette déclaration : « Kiev a un besoin urgent d’armes plus lourdes, il faut intensifier les livraisons, faire plus et se préparer à un engagement à long terme », car « c’est la seule façon pour les Ukrainiens de repousser avec succès l’invasion russe. Le pays doit être préparé à une longue guerre avec Moscou qui pourrait durer des mois, voire des années » (sources fanpage.it).

Dans les colonnes d’Il Tempo, le général tonne : « Qui l’a autorisé à dire cela ? Toutes les règles sont en train de sauter… Stoltenberg est le ventriloque des États-Unis. » Même intonation du général dans le quotidien Libero en date du 9 mai : « Stoltenberg ne peut pas parler au nom de Zelensky. Il est secrétaire général de l’OTAN, qui est une organisation supranationale et ne pourrait donc déjà pas parler au nom de pays individuels. Il y a ici le petit détail que l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN. Ce n’est pas Stoltenberg qui peut imposer les conditions. […] Depuis le début de la guerre, les deux vrais concurrents ne sont pas Poutine et Zelensky mais Poutine et Biden. […] Ce n’est pas la première fois que Zelensky montre qu’il veut ouvrir à d’éventuelles médiations, mais il est toujours freiné - ajoute-t-il - par l’OTAN et les USA plus que par l’Europe. L’Europe a disparu, sa voix n’émerge jamais que pour confirmer ce que dit l’OTAN. Et l’OTAN dit ce que disent les États-Unis. »

Un constat amer, effaré et lucide, d’autant plus étonnant que l’Italie est, historiquement, un pays « atlantiste ». L’opinion publique italienne serait-elle en train de se retourner ou, tout au moins, de décélérer, à la perspective de la gigantesque crise énergétique et économique qui se profile, en conséquence des sanctions imposées à la Russie ?

Plus surprenante encore est, en effet, l’interview au Corriere della Sera de Carlo De Benedetti, figure historique et très écoutée du capitalisme de gauche transalpin. Celui-ci n’a pas de mots assez durs contre la façon dont l’Union européenne mène cette guerre : « Mais les intérêts des États-Unis d’Amérique et du Royaume-Uni d’une part, et de l’Europe et en particulier de l’Italie d’autre part, divergent absolument. Si Biden veut faire la guerre à la Russie à travers l’Ukraine, c’est son affaire. Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas le suivre. [...] Mais l’Europe a un intérêt commun : arrêter la guerre, au lieu de l’alimenter. Si les USA veulent utiliser l’Ukraine pour faire tomber Poutine, qu’ils le fassent. Si les Russes veulent Poutine, qu’ils le gardent. Quel rapport avec nous ? »

Évoquant les conséquences de cette guerre sur les mouvements migratoires qui, selon lui, iront s’intensifiant de manière exponentielle en raison des famines, il conclut sèchement : « Nous, par exemple, n’avons pas les mêmes intérêts que les pays baltes : ils craignent les Russes ; nous, la faim et l’immigration. » Les voix – et voies – de la raison commencent à se faire entendre de part et d’autre des Alpes. Seront-elles entendues au palais de l’Élysée ?

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

Vos commentaires

95 commentaires

  1. De Benedetti !? La crapule associée à Alain Minc pour attaquer la Société-Générale-de-Belgique !

  2. nos cousins transalpins sont plus cohérents et lucides que tout ces « va-t-en-guerre » qui ne savent qu’aboyer. Et livrer toujours plus d’armes ( que l’Ukraine devra payer un jour!!) ne facilite pas la résolution du conflit.
    Messieurs les « experts militaires » ne vendez pas votre âme ( mais j’ai peur que cela soit déjà fait !)

  3. Une chose est certaine, c’est qu’avec Trump, cette guerre n’aurait pas eu lieu. Si Poutine a pris le risque d’attendre 8 ans avant d’attaquer, c’est qu’il était certain que la réaction de l’ancien président américain aurait été apocalyptique.

  4. Chez nous se sont les généraux va-t-en guerre que l’on entend. J’espère que cette poussée de lucidité italienne va vite faire tache d’huile.

  5. En fait les U.S.A et la Russie se font la guerre par pays interposé (Ukraine en l’occurrence) comme jadis avant avec l’U.R.S.S et avant la chute du mur de Berlin et parce que s’ils s’affrontaient directement cela serait catastrophique pour eux. C’est les ukrainiens qui en font les frais. Il est à remarquer que les U.S.A et l’Angleterre veulent bien faire la guerre à condition que cela ne soit pas sur leur sol, la première et seconde guerre mondiale cela a été sur le sol européen, non le LEUR

  6. Bravo, madame d’Armagnac, pour ces informations importantes. Il est évident que ces chefs militaires italiens voient plus clair que les nôtres, simples supplétifs des faucons de Washington. Mais on sent que le vent tourne.

  7. Nos amis Italiens, souvent caricaturés et moqués par leurs voisins occidentaux arrogants et condescendants, surtout la France qui se croit encore le phare de la pensée du monde, nous enseignent une leçon de pragmatisme et de réalisme politiques. Il faudra à moyen terme, reparler à la Russie et s’interroger sérieusement, après les crises d’hystérie qu’on subit avec les médias, sur les raisons profondes et objectives qui ont précipité la fédération à attaquer leurs frères Ukrainiens.

  8.  » Les voix – et voies – de la raison commencent à se faire entendre de part et d’autre des Alpes. Seront-elles entendues au palais de l’Élysée ? » Ces voix ne peuvent être perçues qu’après autorisation des médias. Et les médias italiens semblent un tantinet moins veules et soumis que les français. C’est la seule différence.

  9. Bravo Viva Italia, « eux » au moins « ils » réfléchissent, c’est pas comme chez nous en France, où il n’y a plus aucune intelligence……

  10. Quel intérêt ont les Etats-Unis à affaiblir la Russie alors que le grand adversaire de l’Occident est la Chine ? Macron est un mouton qui ne sait que suivre le politiquement correct du moment, dans tous les domaines. Avec lui, c’est toujours plus d’avortements, de vaccins inefficaces, d’immigrés, de perte de souveraineté, de sanctions contre la Russie (alors qu’il dit qu’il ne faut pas humilier ce pays !) et d’armes lourdes pour l’Ukraine. A quand une position originale de la France ?

  11. Ce matin je suis Italien
    Montesquieu a dit deux choses importantes La première est qu’en matière de guerre il ne faut pas confondre les causes apparentes avec les causes profondes et la seconde qu’il ne faut pas confondre ceux qui l’ont déclenchée avec ceux qui l’ont rendue inévitable
    Montesquieu
    La famille Biden chercherait elle a masquer ses compromissions en Ukraine ?

  12. Ce n’ est pas notre guerre mais elle nous impacte directement.
    L’ Ukraine est un gros fournisseur de matières premièresde l’ UE et les ports et aérodromes bloqués n’ arrange rien. Le vrai coupable est la mondialisation voulu par l’ UE. Qui veut la guerre? nos dirigeants fuiront et laisseront la place vide. Les français pas formés resteront chez eux, les banlieues pilleront les villes, la force de l’vUkraine réside dans sa cohésion, qui n’ existe plus en France depuis des années,

  13. Merci aux généraux italiens, plus intelligents que les généraux de deuxième section au service d’instituts de défense aussi inconnus les uns que les autres qui appellent à la guerre et jouent au kriegspiel sur Bfm et Lci excités par des passionarias ukrainiennes qui ressassent des éléments de propagande anti-russes et voudraient nous voir tous finir dans les combats de Marioupol. Nous n’avons rien à voir avec l’Ukraine, il est temps de retrouver la raison.

  14. Il y a longtemps que le bon sens n’a plus droit de cité chez nous. Ce fondement indispensable de la Démocratie est mort depuis longtemps avec le laxisme politique à tous les étages, le traité de Lisbonne, la loi Taubira et les magouilles Alstomiennes, le scandale Mac Kinsey, la pandémie et la guerre en Ukraine. Le problème, c’est que la réalité a la vie dure et finira par s’imposer, de gré ou de force. Le temps glorieux des taux d’intérêts négatifs est fini. Il va falloir payer.

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