Les actuels mouvements sociaux à la SNCF ravivent les débats entre les entreprises privées qui seraient des lieux d’exploitation et d’oppression uniquement animés par l’esprit de lucre - quelle horreur - et des services dits publics dont les agents, dévoués corps et âme au bien commun, ne nous imposeraient, le cœur déchiré, quelques désagréments passagers qu’afin de mieux préserver une irréprochable qualité de service que le monde nous envierait : les services publics à la française ! Tout cela est frappé au coin de l’idéologie, de la bêtise et de l’hypocrisie.

Tout service est, par nature, un service public c'est-à-dire ouvert et accessible à tous. Ce qui change, c’est son mode de gestion : public ou privé. Mais la différence essentielle n’est pas là. Elle réside dans le regard porté sur l’utilisateur final et la prise en compte de son besoin. Une société de services, ou de production, a pour vocation de répondre aux besoins d’un utilisateur final. Ce qui change tout, c’est que « le client », s’il est mécontent, peut s’adresser à un autre fournisseur, alors que « l’usager » n’a pas le choix : il est pieds et mains liés, soumis au pouvoir du monopole, qu’il soit législatif, historique ou technologique. Le client satisfait de l’offre qui lui a été faite commande dans les deux sens du terme : il passe commande et il dirige, "en même temps". En situation de monopole, l’aiguillon de la concurrence est inexistant. En Allemagne de l’Est, en 1953, la personne désireuse d’acquérir une automobile avait ainsi le choix entre une Trabant grise et une… Trabant grise. Les besoins, toujours en évolution, du client exigent que son fournisseur se remette chaque jour en cause quant à la qualité, aux délais, au prix, etc. Ce serait faire preuve d’une immense naïveté, d’un rousseauisme pathétique que de croire que le seul amour du service rendu, et bien rendu, suffirait à faire évoluer les entreprises afin de toujours mieux servir leurs clients. De plus, en ces temps d’individualisme exacerbé, le sens du service désintéressé s’est passablement émoussé. Tous les délégués de SUD ou de la CGT ne sont pas des émules de Mère Teresa ou de saint Vincent de Paul.

Les monopoles législatifs dans certains secteurs d’activité ont logiquement généré des situations de rentes acquises au bénéfice de populations réduites en nombre (gaziers, électriciens, cheminots, etc.) dont les avantages et les privilèges – au sens de privata lex, loi privée, particulière - sont dérogatoires au bien commun concernant les retraites, le temps de travail, les avantages divers : prix de l’électricité, places gratuites en train, etc. Ce fait est une réalité.

Une autre réalité est qu’aucune classe sociale ne renonce spontanément et librement à ses avantages. Ainsi, lors de la fameuse nuit dite de l’abolition des privilèges du 4 août, le détail des débats montre très clairement que la noblesse renonça aux privilèges… du clergé et le clergé à ceux de… la noblesse[ref]La Révolution française de Philippe Pichot-Bravard, p. 63[/ref]. Cela est si vrai que, dès le lendemain, certains, revenus de leur nuit d’ivresse collective, cherchèrent à revenir sur l’autodafé de la veille.

On peut légitimement se demander, d’ailleurs, pourquoi la distribution de l’électricité ou l’organisation des transports collectifs par rail devrait être une responsabilité de l’État plus que la distribution de l’eau ou la fabrication du pain. Un État structurellement déficitaire - avec une dette quasiment équivalente au PIB - et incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens - 250 morts par attentats depuis trois ans- n’aurait-il pas intérêt à se recentrer sur ses missions régaliennes : justice, défense, sécurité, relations internationales, etc. ? Mais la République jacobine et centralisée ignore ce qu’est le principe de subsidiarité qui consiste à laisser chacun décider de ce qui est en son pouvoir, en ayant conscience qu’il devra ensuite assumer les conséquences de ses choix. Le couple pouvoir/responsabilité est au cœur de la vie sociale. La garantie financière de l’État facilite le comportement irresponsable de certains dirigeants et certaines entreprises (cf. les mésaventures d’Areva sous la direction d’Anne Lauvergeon). Nous touchons là aux limites de la solidarité. Quand la solidarité est partout, la responsabilité n’est plus nulle part.

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15 avril 2018 à 13:37

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