Garde des gestes barrières : un métier d’avenir

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Le garde-barrière est en voie de disparition, en France, tout comme le bourreau et le livreur de lait. On protège les espèces animales – et c’est tant mieux – mais on laisse mourir des vieux métiers parce que c’est comme ça, que c’est la loi de l’offre et de la demande et toutes ces sortes de choses. Avec l’impératif de respecter les gestes barrières (avec ou sans s : on voit les deux), on se demande si l’on ne pourrait pas remettre au goût du jour ce beau et vieux métier de garde-barrière né dans le mitan du XIXe siècle.

Le garde-barrière était un être hybride, faisant la transition entre la campagne dont il était issu – il cultivait son lopin de terre au bord de la voie ferrée – et la modernité qui roulait les mécaniques, transperçant cette campagne dans un panache de fumée pour aller voir d’autres cieux. On rigole mais il n’empêche : il n’y aurait pas eu de garde-barrière, qui aurait donné l’alerte lorsque le Président Deschanel, un peu dérangé dans sa tête, était tombé du train et s’était retrouvé en pyjama le long de la voie ferrée ? Un garde-barrière qui avait du flair : il avait tout de suite vu que ce pierrot était un monsieur comme il faut. Il avait les pieds propres !

Garde-barrières ou garde des gestes barrières : cela poserait son homme, ou sa femme ! Ni policier, ni infirmier, mi-infirmier, mi-policier, quelque part un peu auxiliaire de survie, usant de bienveillance ou du carnet à souche au gré des humeurs du jour ou de la tête du client, le garde des gestes barrières pourrait se voir attribuer un joli uniforme. Un concours ouvert aux plus grands couturiers serait possible, vu que c’est l’État qui paierait. Dans le dos, en grosses lettres blanches, « GGB » : garde des gestes barrières. Très vite, la télé publique pourrait commander une série bien de chez nous, racontant les aventures d’une équipe de GGB dans une ville moyenne de la grande couronne parisienne. Une sorte de NYPD Blue à la française.

Avant d’aller plus loin, j'insiste bien : on devra dire « garde » et pas « gardien ». Car là aussi, il peut y avoir débat. Garde, ça fait plus vieille France si l’on peut dire ainsi. Pensez aux gardes suisses qui Michel-Ange-gardiennent le souverain pontife. Mais aussi la garde noble, vénérable institution romaine disparue lorsque le Vatican se mit à confondre réforme avec vide-greniers et grande braderie. Garde champêtre, bien entendu : battez tambour dans le pays parcouru par le curé, précédé de ses deux enfants de chœur, allant porter l’extrême onction au père Médard. Sans parler du garde-chasse de monsieur le comte depuis trois générations sur le domaine et le garde-pêche qui fait la maille. Comme nous sommes en république, un détour par les trois régiments de la Garde : un de cavalerie, deux d’infanterie. Ils rappellent aux grands de ce monde, tout de même, que la France, ce n’est pas n’importe quoi et que l’on peut encore caracoler plus haut que son cul.

Gardien, c’est moins bien. Enfin, je trouve. Certes, il y a le gardien de la paix qui a toute sa noblesse aussi, d’autant qu’aujourd’hui, il ne s’agirait plus de la garder mais de la rétablir. Certes, il y a le gardien de phare, qui veille sur l’horizon. Et la gardienne d’immeuble, qui fait presque partie des meubles. Elle ne monte plus le courrier depuis longtemps au jeune homme du cinquième bien sous tous rapports, mais elle a le sens du calendrier. Surtout en début d’année. Attention, pas question qu’on l’appelle concierge. Aimable comme une porte de prison ? C’est vous qui le dites. Justement, on notera que l’on dit gardien de prison - pardon, agent pénitencier - mais qu’autrefois, on disait garde-chiourme sur les galères du roi.

Non, finalement, gardien ou garde, c’est du pareil au même. Du reste, vaut-il mieux être une chienne de garde ou le gardien du sommeil de ses nuits si on l'aime à mourir ? Tout ça pour dire, prenons garde à bien respecter les gestes barrières.

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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