François Bert : Procès France Telecom : « Il n’y a pas de mauvais soldats, il n’y a que de mauvais chefs »

François Bert

Le procès d'anciens dirigeants de France Telecom, dont Didier Lombard, PDG de 2005 à 2010, pour harcèlement moral ou complicité de ce délit s'ouvre, ce lundi 6 mai, devant le tribunal correctionnel de Paris. Entre 2008 et 2009, 35 employés de l'entreprise s'étaient donné la mort. L'occasion, pour Boulevard Voltaire, d'interviewer François Bert sur la question plus générale du management dans beaucoup d'entreprises qu'il qualifie d'« enfant naturel de Nabilla et de Descartes ».

France Telecom a recensé énormément de burn-out et de suicides. La société est actuellement en procès à cause de ses méthodes de management.
Que pensez-vous de ce procès ?

Je vois deux niveaux de réflexion. Tout d’abord, la dimension morale. C’est la manière dont on conçoit les politiques au sommet de l’État. Il y a une sorte d’inconséquence générale qui fait qu’on est tellement obnubilé par des résultats immédiats, qu’on néglige le temps qu’il faut à tout processus pour se produire. On pourrait dire qu’on a généré une méthode de management dans nos institutions et nos entreprises.
C’est un enfant naturel de Descartes et de Nabilla. On pourrait l’appeler la civilisation du caprice, où seul compte l’instantané de l’image et de la performance, sans se rendre compte que les choses durent dans le temps. Descartes avait l’habitude de dire ‘’je conçois tout, je suis un super sachant, donc tout va dérouler’’. Nabilla, elle, est dans la fugacité de l’instant présent. Cela fait forcément des dégâts.
Le deuxième niveau est un niveau fonctionnel. C’est davantage l’expert en entreprise qui parle. Quand j’analyse le fonctionnement des entreprises, je perçois deux extrêmes particulièrement inquiétants. L’extrême lié au burn-out et l’extrême lié à l’inconséquence. C’est le côté société de loisir qui va n’importe où.

Ces deux extrêmes sont rattachables à deux modalités de pensées particulières. Structurellement, en France, depuis très longtemps, la société du travail prime d’abord. C’est le phénomène des premiers de classe. Ce n’est pas une généralité, mais les polytechniciens sont des gens qui font des systèmes parfaitement planifiés hors du temps. Orange en est la parfaite illustration. Je n’ai rien contre les polytechniciens, j’en connais d’ailleurs beaucoup qui sont exceptionnels. Je les appelle des créateurs de paquebot dans des cryptes grecques. Le paquebot dans la crypte grecque fait plaisir aux planificateurs, mais il ne sort jamais en haute mer et n’embarque jamais l’équipage dans une mission qui lui correspond. C’est l’excès des sociétés industrielles. Pendant très longtemps, le bon chef était associé au super planificateur qui sait tout, sauf décider et comprendre l’humain au moment où il est concerné par des décisions qui lui sont relatives.
On bascule de Descartes à Nabilla. De l’autre côté, les sociétés ont beaucoup plus insisté sur le développement personnel. Le problème est qu’ils ont pris le développement personnel comme une fin en soi.
Le résultat produit est ce que j’appelle le massage de crampe. Dans une société rigide où tout est prévu et où l’on croit que quelqu’un se lève le matin pour être la case B 18 dans un plan parfait, on a mis des tables de ping-pong à disposition et on fait des massages sur les temps de pause, en pensant que cela va résoudre le problème. Le seul axe qui peut résoudre le problème, c’est de rendre aux gens, non pas un développement personnel illimité ou une place dans un plan parfait, mais de les rendre utiles. Être utile, c’est voir que son propre talent contribue à la victoire collective. C’est cela le boulot des chefs !


A-t-on construit une génération de travailleurs incapables de s’adapter aux normes de l’entreprise ?

C’est tout l’enjeu des chefs. Je suis intervenu dans deux classes de seconde. Le message initial était ‘’ je ne sais pas quoi faire dans la vie, rien ne m’intéresse et je ne sais pas pourquoi je suis là’’. Je les ai mis en situation et je les ai fait vivre une aventure collective.
A la fin, je leur ai posé la question suivante : ‘’ quel est le compliment que vous aimeriez que l’on vous fasse ?’’
Celui qui était le plus avachi s’est redressé et m’a dit ‘’j’aimerais qu’on me dise : tu es un chef’’.
Je me suis aperçu qu’il n’y avait pas de mauvais soldats, mais que de mauvais chefs. Fondamentalement, quelqu’un à qui on donne la possibilité d’expérimenter son utilité, fut-il avachi au départ, se redresse et s’embarque.
En tant qu’ancien officier de légion, je peux vous témoigner que bon nombre de personnes complètement en déroute de leur vie se sont redressées et sont devenues autonomes parce qu’on leur a donné la possibilité de savoir à quoi ils servaient. Si vous proposez à ces personnes-là, un chef ‘’pentium 12’’ qui sait tout mieux que tout le monde, cela ne motive personne.
Le plan parfait ne motive personne, si ce n’est le planificateur. Cela ne correspond surtout pas à la réalité de la vie. La vie n’existe pas dans des plans. Il faut bien sûr un peu planifier, mais la vie se conduit étape après étape dans une aventure collective avec quelqu’un qui, à la fois sait prendre en compte la réalité de chacun et passe son temps à donner une orientation. C’est cela le boulot du chef !

François Bert
François Bert
Saint-Cyrien, officier parachutiste à la Légion étrangère, il accompagne les dirigeants au « discernement opérationnel »

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