Francis Moury : « La guerre est toujours plus cinématographique que la diplomatie ! »
Peu de films français ont été consacrés à cette période, à rebours de la production américaine. Défiance vis-à-vis de notre histoire ?
Je compte 13 films français sur les guerres d’Indochine, ce qui est assez mince sur les 150 films recensés dans mon livre. Rien d’étonnant, puisque nous fûmes militairement impliqués dans la première guerre, avant d’être ravalés au simple rôle de diplomates ou d’observateurs. La guerre est toujours plus cinématographique que la diplomatie !
Cela dit, le cinéma français demeure minoritaire, dans ce livre. La première explication est d’ordre économique : dans les années 50, la France se relève de deux guerres mondiales et les producteurs n’ont pas les moyens d’investir dans de coûteuses reconstitutions, tandis que leurs partenaires européens ne sont pas forcément passionnés à l’idée d’investir dans des films consacrés à la guerre d’Indochine. Pourtant, des tentatives ont lieu, mais peu nombreuses et à budget restreint. Quant aux Américains et aux Anglais, nettement plus riches, ils n’ont pas besoin de nous, à l’exception notable des Centurions, de Mark Robson, adapté du roman de Jean Lartéguy.
Puis, il y a le gauchisme ambiant, ce qui explique qu’il faille attendre 1992 pour avoir le Diên Biên Phu, de Pierre Schoendoerffer, alors qu’en 1955 sort déjà L’Enfer de Diên Biên Phu, de David Butler, alors que deux ans plus tard, Samuel Fuller dédie son China Gate à la France. Même là, les Américains sont avance…
À propos d’Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola, vous évoquez la fameuse « scène de la plantation », coupée lors de sa sortie en salles, puis réintégrée en DVD, à l’occasion de laquelle d’anciens colons français reprochent aux soldats américains d’avoir armé le Viet-Minh afin de nous chasser d’Indochine, pour ensuite venir se plaindre de cette guerre perdue d’avance. Vous pouvez nous en dire plus ?
Coppola n’était, semble-t-il, pas satisfait de cette séquence. Le scénariste John Milius, lui, y tenait beaucoup. Il faut savoir que le scénario de Milius était, à l’origine, une adaptation du roman Au cœur des ténèbres, de Joseph Conrad. Il y ajouta des idées empruntées à l’Odyssée d’Homère et au Rameau d’or de James G. Frazer, sans parler des souvenirs des anciens combattants avec lesquels il s’entretint souvent durant la période d’écriture.
Je ne crois personnellement pas trop aux aveux de Coppola concernant cette « séquence française ». Je le soupçonne de s’être rangé aux avis des distributeurs américains qui ne voulaient pas d’un film trop long pour l’exploitation et qui devaient penser que cette scène alourdissait le rythme. Mais pour nous, spectateurs français, elle demeure très étonnante, comme une sorte de rêve de politique-fiction suspendu dans le temps et l’espace, le rêve d’une France indochinoise subsistant secrètement dans un espace perdu, telle qu’en elle-même.
Dans un autre registre, vous citez Portés disparus, avec Chuck Norris, ou Les Bérets verts, avec John Wayne, films de propagande, mais qui ne sont pas non plus des monuments du septième art…
Je ne suis pas d’accord avec votre jugement négatif sur Les Bérets verts, qui est certes un film de propagande, mais dont la première partie me semble pourtant être ce que le cinéma américain a peut-être donné de meilleur sur cette guerre, à tous les autres points de vue : historique, documentaire, technique. Concernant Portés disparus, il ne s’agit pas seulement de propagande, mais d’une réalité méconnue en France. Ainsi, à partir de la signature des accords de Paris, en janvier 1973, le problème des prisonniers de guerre devient prépondérant aux USA. C’est même, en partie, à cause de lui que la guerre a duré deux ans de plus, jusqu’en 1975. Les Américains et les Vietnamiens ne s’entendaient pas sur les chiffres fournis par leurs services de renseignement respectifs. D’où ces initiatives plus ou moins officielles qui se multiplièrent, de 1975 à 1985, visant à sauver ces soldats portés disparus. Les unes comme les autres furent, en effet, assez peu médiatisées par la presse française. Songez, afin d’avoir une idée de l’ampleur américaine de la question à cette époque, que Sean Flynn, le fils de la star hollywoodienne Errol Flynn, faisait partie des portés disparus !
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
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