Les médias étant ce qu’ils sont, ou devenus, la réflexion cède bien souvent le pas à la caricature. Comme Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon en sait quelque chose. D’un long entretien accordé à l’hebdomadaire Le 1, seul ce court extrait tourne en boucle sur Internet : "Le but de La France insoumise n’est pas d’être démocratique mais collectif." Sous entendu, Mélenchon est plus collectiviste que démocrate. Fermez le ban.

Pourtant, en cette période d’immédiateté médiatique, la vision qu’a Jean-Luc Mélenchon de la politique mérite plus ample lecture. On savait déjà que l’Internationale avait laissé la place à "La Marseillaise" dans ses réunions publiques, que le vocable de peuple avait supplanté celui de gauche ; voilà désormais qu’il explique pourquoi La France insoumise est un « mouvement » et non point un « parti » : "Le parti, c’est l’outil de classe. Le mouvement est la forme organisée du peuple."

Il est un fait qu’en France, tous les partis traditionnels sont peu ou prou des partis de classe dont chacun des électorats respectifs relève de telle ou telle catégorie socioprofessionnelle. Il en est un autre que le sien diffère peu de ses concurrents, puisque principalement composé de fonctionnaires, de syndicalistes et de jeunes à forts diplômes et faibles revenus. En fait, le mouvement qu’il appelle de ses vœux existe déjà un peu. C’est le Front national qui, malgré sa direction éminemment verticale, tient plus du mouvement brassant des populations multiples que d’un parti socialement uniforme. Ce mouvement est d’ailleurs le grand absent de la prose mélenchonesque. Reproche vivant ou modèle à surpasser ? Il élude soigneusement le sujet.

De fait, quand Jean-Luc Mélenchon évoque l’Europe, c’est à s’y méprendre : "On ne peut pas laisser faire l’Europe en défaisant la France. Mais en s’appuyant sur l’identité républicaine de la France, on peut faire une Europe des nations bien intégrée." Après, de quelle France parlons-nous ? Et de rappeler : "Jospin me disait : il y avait la France avant la Révolution. Non ! C’était le royaume de France, les frontières étaient différentes, les gens aussi. Par conséquent, je n’accepterai jamais un nationalisme qui serait un ethnicisme." Au-delà du mauvais procès et de l’anachronisme – l’ethnie, et la race moins encore, ne faisaient pas partie du vocabulaire capétien –, au moins la problématique identitaire est-elle posée, fût-ce en creux.

Voilà qui vaut pour une autre identité, européenne celle-là : "Le peuple “européen”, qu’est-ce que c’est ? Je ne me sens rien de commun avec les pays baltes. C’est le bout du monde, même les Romains ne sont pas allés là-bas ! La grande matrice de l’Europe, ce sont les frontières de l’Empire romain. […] Il y a un million de Maghrébins qui vivent aujourd’hui en France, dont une majorité sont français ! On a des familles en commun ! Mais on les traite en suspects ! Et on traiterait comme des frères de lointains Lituaniens sous prétexte qu’ils sont chrétiens ! Ce n’est pas mon histoire." Dans un débat où tant se dérobent, voilà qui a le mérite d’être dit.

On ajoutera que le débat en question porte plus sur la question consistant à déterminer qui "n’est pas" français et européen plutôt que de chercher à savoir ce que c’est "d’être" français et européen. Évacuons la question ethnique, les Maghrébins faisant partie de ce que l’on nommait autrefois la race blanche. Demeurent la culture, la religion et l’Histoire. Culturellement, un Français peut se sentir chez lui aussi bien à Tunis qu’à Vilnius. Religieusement, ce sera un peu moins vrai. Historiquement, Jean-Luc Mélenchon n’a pas tort : au sud du pourtour méditerranéen, les vestiges architecturaux grecs et romains en témoignent, tandis que les peuples du Caucase furent islamisés avant d’être christianisés, ce qui autorise Vladimir Poutine à affirmer que "l’islam est partie constituante de la sainte Russie".

Pour cet ancien trotskiste, ce sentiment d’appartenance à la France et à l’Europe serait donc dicté par l’Histoire - même s’il en retranche mille ans de royauté – et par la seule idée républicaine. C’est un peu court et conforte involontairement la doxa libérale qu’il prétend, par ailleurs, combattre ; laquelle prétend que l’Occident ne serait fondé que sur de seules idées, démocratie libérale et économie de marché.

En attendant, il sera toujours plus intéressant de lire du Mélenchon que du Hamon ou du Wauquiez.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 20/10/2017 à 11:27.

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18 octobre 2017 à 20:24

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