Face à la jeunesse du Grand Soir, celle du petit matin : vive nos artisans !

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Et si la clé de nombre des maux de notre jeunesse se trouvait là ? Si le colloque d’apparence modeste - en admettant que l’importance de ce genre de manifestation se jauge à sa couverture médiatique - du 21 mars dernier, organisé par la fondation Kairos sur le thème « Transmettre aujourd’hui les métiers manuels », était, en réalité, crucial ? Bien sûr, lorsqu'Anne Coffinier, fondatrice de Kairos, l’a mis sur pied, elle ne pouvait imaginer que, pour accéder à l’Institut de France, on devrait enjamber les monceaux d’immondices répandus sur le trottoir. Ni que des dizaines de milliers de manifestants seraient, dans le même temps, en train de battre le pavé contre la réforme des retraites, non loin de cette déchetterie géante, avant, pour les plus radicaux d’entre eux, d’y mettre le feu. Mais le symbole est fort : alors que la France, en ce début de printemps, ressemble à un champ de ruines, de petites pousses surgissent çà et là, de l’humus sous les gravats. Certains, sous les radars médiatiques, cultivent le goût du beau, du travail bien fait, du métier cent fois mis sur l’ouvrage, de la minutie et du dernier détail. La France du petit matin qui construit silencieusement face à celle du Grand Soir qui détruit bruyamment.

De tables rondes en conférences, devant 200 participants, 30 intervenants se sont succédé, animés de la même passion pour les métiers manuels. La façon dont ils se sont appropriés ces métiers sont diverses : certains sont professionnels, d’autres amateurs, les uns ont pris des chemins de traverse, autodidactes ou formés sur le tard. Les autres, dotés d'une formation académique, ont plongé très jeunes, via les compagnons du devoir, par exemple. 

Il est insolite d’entendre, en introduction, la philosophe Chantal Delsol faire l’éloge du travail manuel, en l’occurrence de la couture à laquelle l’ont initiée jadis ses mère et tantes : ces travaux de confection, raconte-t-elle avec une grande simplicité, lui ont procuré beaucoup de joies. Il est touchant d’écouter, en conclusion, l’énarque Anne Coffinier dire toute son admiration pour sa fille, apprentie pâtissière, qui se lève tous les matins à 4 heures. Envoyer un enfant dans l’artisanat avant le bac est « ultimement transgressif », note-t-elle avec humour. Comment lui donner tort ? La Suisse, qui aiguille deux tiers de chaque classe d’âge dans des filières manuelles sans rien hypothéquer de leur réussite future ni entacher leur réputation, n'a pas du tout le même regard, explique Roberto Balzaretti, ambassadeur de Suisse en France. 

En creux, dans ce colloque, il y a implicitement le sujet du collège unique, qui garde captive une population douée d’une intelligence de la main et la fait mourir d’ennui sur les bancs de l’école. Il y a aussi la question du sens du travail dans un pays désindustrialisé, mais aussi « désartisanatisé », tout porté sur le tertiaire et qui ne sait créer que pléthore de commerciaux et de sociologues en lieu et place d’indispensables ingénieurs et travailleurs manuels. Notre époque aime l’artiste contemporain, qui crée sui generis, mais beaucoup moins l’artisan, inscrit dans la transmission, l'héritage reçu des pères, l’insertion, avec une humble fierté - ce n’est pas un oxymore - dans une chaîne de savoir-faire, de répétition, toutes choses honnies aujourd’hui.

Osons une hypothèse : les Black Blocs et autres antifas qui occupent les bâtiments de leurs universités revendiqueraient-ils le droit à la paresse et à celui de prendre leur retraite au berceau, rechercheraient-ils une fraternité dans l’action destructrice, si on les avait envoyés dans une filière manuelle fondée sur le collectif et ancrée dans la réalité, autrement plus exigeante que les cursus de sciences molles spéculatives dans lesquels ils ont échoué sans sélection, qui les laisse aussi désœuvrés qu’insatisfaits ?

Un dernier symbole ? Pendant que des étudiants grimés en Black Blocs - à moins que ce ne soit le contraire - brûlent, brisent, cassent, taguent, bloquent, de jeunes artisans, dans l’indifférence médiatique, œuvrent méticuleusement à ce « prodige du gigantesque et du délicat » qu’est la reconstruction à l’identique de Notre-Dame. Avec un peu de chance, peut-être parlera-t-on enfin d’eux quelques minutes, le 15 avril, jour anniversaire de l’incendie ?

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

23 commentaires

  1. EXCELLENT ARTICLE MME CLUZEL !
    On nous a seriné pendant des années de faire des études , j’ai fait ça pendant 27ans !
    Mais a la sortie avec le CV que j’avais personne ne voulait m’embaucher : ils auraient dû payer trop cher mes compétences !
    Je me suis donc mis a mon compte dans un « metier manuel » Artistique , que j’ai exercé pendant 40ans !
    J’encourage tous les jeunes d’entrer dans une filière dite « manuelle » pour le plaisir et la satisfaction d’un travail bien fait !

  2. Bonjour,
    J’ai beaucoup apprécié votre excellent article. Comment diffuser plus largement cet appel et cette reconnaissance du travail (manuel) bien fait? Comment motiver plus profondément tous ces jeunes, souvent laissés pour compte par leur parents (bien lotis eux-mêmes) qui se font happer par la NUPES, le PCF ou la CGT. Quel « aspirateur » faut-il mettre en place pour attirer de plus en plus de jeunes ayant du bon potentiel, sûrement pas notre pseudo-ministre de l’EN qui est tout juste un faiseur accroché aux basques de macron. Pauvre France, mais encore merci pour votre édito.

  3. Bien d’accord avec votre analyse. Je fais partie de cette génération qui a connu ce que l’on appelait les classes de transition pour les élèves qui n’avaient visiblement pas les dispositions pour suivre les filières classiques ou modernes de l’enseignement secondaire. Ces filières de transition les emmenait jusqu’à un CAP. Bref ils en sortaient avec un diplôme en poche adapté à leurs capacités. C’était mieux que de les faire avancer à marche forcée dans une scolarité qui leur convenait pas. Certes ce système était perfectible car n’offrant pas de possibilité de poursuivre pour ceux qui s’épanouissaient et avait les dispositions pour devenir responsables ou chefs d’entreprise dans leur domaine. Il y avait beaucoup à faire pour rendre ce système plus attractif et plus valorisant. L’Éducation Nationale a fait le choix de les supprimer avec la « réussite » que l’on connait. Outre Rhin, commencer au bas de l’échelle n’est pas un frein à la réussite au plus niveau comme le prouve certains PDG d’entreprises prestigieuses de l’automobile.

    • Très bonne réponse et excellente réflexion ! Il faut aussi que les jeunes apprennent a écrire , compter , écrire correctement ! Avoir de bonnes notions de l’histoire !
      Un métier « manuel » demande beaucoup de réflexion (connaissance culturelle) une culture suffisante , pour accéder au plaisir d’un travail bien fait et très gratifiant !

  4. Dans un pays avec des millions de chômeurs, je vois tous les jours dans mon métier, des artisans cherchant de la main d’oeuvre, (rare, donc très bien payée). Après quelques années en tant que salarié, les meilleurs (c’est-à-dire ceux qui se lèvent le matin pou réussir quelque chose) pourront devenir artisans à leur compte. Leurs revenus seront confortables (par exemple, supérieurs à ceux de beaucoup de médecins), ils pourront prendre leur retraite tôt s’ils ont eu la sagesse d’investir pendant leur activité (j’en connais beaucoup qui ont arrêté à 50 ans, pour vivre de leurs rentes). La contrepartie ? Ah bien oui, il ne faut pas compter ses heures, s’être formé, bien travailler. C’est la sélection naturelle des meilleurs…

    • Tout cela,est vrai, encore faudrait il que les bases soient là ; savoir lire, écrire, compter, parler correctement. Nombre de jeunes autour de moi n’ont pas ces connaissances ou que partiellement et malgré leur courage ils n’arriveront pas à être autonomes professionnellement et resteront éternellement dans le bas de l’échelle. Moi aussi je vois tous les jours des artisans à la recherche de bons compagnons mais que voulez vous recruter les niveau sont tellement bas.

  5. Merci Madame pour votre éloge de l’Artisanat…! Mais ce déni ne date pas d’hier, puisque j’ai 75 ans et que mon père m’a dit souvent…; « Si tu continues à ne pas travailler à l’école, je vais te foutre en apprentissage… ».
    Puis quelques années plus tard, Assistant Technique des Métiers, j’ai pu constater les dégâts causés sur les jeunes apprentis, par une politique totalement stupide…! Des jeunes presque illettrés qui allaient devenir de futurs Artisans…!
    Alors un grand MERCI à vous chère Madame…!

    • On en revient toujours au même, sans un minimum d’instruction (savoir lire, écrire, compter, s’exprimer) point de salut. Et ce n’est pas avec les politiques et méthodes d’instruction suivies depuis les années Miterrand que l’on va pouvoir sortir la tête de l’eau de notre jeunesse.

  6. Madame Cluzel, vous avez tout résumé en une phrase : « La France du petit matin qui construit silencieusement face à celle du Grand Soir qui détruit bruyamment. »
    CQFD et merci !

  7. De plus il y a du travail, il n’est qu’à voir les délais pour avoir un artisan afin d’effectuer des travaux, en Vendée où j’habite depuis un peu plus d’un an, il m’a fallu une année pour que les travaux sur ma maison soient achevés, c’est pire qu’au Pays Basque d’où je viens, tous les artisans cherchent des ouvriers, et rien dans un pays aux 6 millions de chômeurs, on se demande .

    • Je suis dans votre cas, il faut attendre des mois pour avoir la visite d’un plombier ! les Français ne veulent plus se salir et se lever tard !

  8. Madame Cluzel je m’associe pleinement à votre analyse sur les bienfaits de l’artisanat et souhaite ici porter un cours témoignage dans ce sens. Pour ma part issu de formation artisanale (l’orfèvrerie) j’ai eu toute ma vie à me louer de ce choix que m’a fait prendre mon cher père, j’ai toujours remercié mon maître d’apprentissage ainsi que tous mes anciens en ce métier qui m’ont généreusement prodigués leurs savoirs le temps de mon apprentissage et bien plus longtemps encore. Dans les années cinquante, les jeunes qui ne pouvaient suivre des études en secondaire étaient dirigés principalement vers l’artisanat mais pas seulement, à cette époque les ateliers, les entreprises étaient formatrices et accueillaient dans leur creusé cette jeunesse qui trois ans plus tard à l’issu d’un C.A.P pouvait rentrer dans la vie professionnelle. Concernant l’orfèvrerie ce fut pour moi quatre années d’apprentissage plus deux années étant demi-ouvrier, donc six années de formations, c’est dire la richesse de cet enseignement. Malheureusement aujourd’hui bien des ateliers ont disparus, bien des savoirs sont aujourd’hui ignorés. Merci à Madame.

    • En tant qu’ouvrier en mécanique de précision, j’ai eu, dans les années 65 à former, en l’atelier, des jeunes apprentis en formation scolaire alternée. Le niveau et la conscience de cette époque permettait de transmettre une excellente formation. Reprenez l’histoire et vous comprendrez les sources de la débâcle. Les Allemands, eux, ne se sont pas embourbés dans les tendances de l’époque, dès 50 ans un compagnon en atelier prend sous son aile un jeune de l’école, qui est intégrée à l’entreprise. Celui ci après sa formation était poussé vers d’autres entreprises afin d’élargir ses connaissances. Ne cherchez pas plus loin la suprématie de leurs entreprises.

  9. Macron est entrain d’assassiner les petit commerce et l’artisanat . Il transforme la France en pays de tiers monde.

    • Je ne pense pas que l’absence d’artisanat soit le privilège du tiers-monde, c’est là qu’on trouve le plus d’artisans débrouillards, peut-être pas de grands artistes et encore !

      • Très bien dit ! Mais rien n’empêche de faire des études , ça donne le choix d’une filière qui leur donne l’envie de faire et d’être !
        Mais pour tout ça il faut avoir la « curiosité de connaitre » , de comprendre , de faire des expériences !
        Personnellement j’ai passé un bac pro en fabrication mécanique (donc tournage fraisage ajustage pour lesquels j’ai passé 3 CAP et BEP), Bien sûr Dessin technique , j’ai appris le modelage (réalisation de pieces en vue de moulage) , puis les techniques de moulages , puis de la forge : pour aller dans l’industrie? pensez vous ? et bien non : j’ai poursuivi aux beaux arts (5ans) diplôme à la clé , car avec mon bagage technique je voulais être « designer » mais hélas l’école où j’étais n’étais pas assez performante a mon goût , je me suis dirigé vers la peinture (artiste peintre reconnu) , Mais ça ne me suffisait pas > Alors je me suis mis a mon compte dans un métier artistique que j’ai exercé pendant 40ans !!!
        Comme quoi tout peut mener a un métier manuel !

    • Evariste permettez moi, la destruction de l’artisanat ne date pas du consulat du sieur Macron mais bien avant déjà, depuis les années quatre-vingt l’artisanat fut mis en coupe réglé par la mondialisation prônée par nos gouvernants et un système fiscal démentiel., je peux en témoigner.

    • Quelle vision du « tiers monde » ! Allez y faire un tour et vous serez surpris de leur ingéniosité et débrouillardise. Si les Européens ne les avaient pas bridés, leurs industries seraient autrement compétitives. Les Russes et les Chinois ne s’y sont pas trompés d’ailleurs.

  10. Super de mettre à l’honneur ces petites mains qu’elles fassent de l’éphémère ou des chefs d’oeuvre elles méritent un grand coup de chapeau . Il faut encourager ces jeunes qui veulent faire ces métiers manuels et transmettre le savoir faire de générations en générations .

    • Allez dire ça aux politiques, l’instruction et le savoir faire leur fait peur car il est impossible de mener par le bout du nez un peuple instruit. Et pour être plus performant qu’un politique, il n’est pas nécessaire de faire l’ENA ou l’Université actuelles.

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