Européennes : le paradoxe français

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Les instituts de sondage prévoient un haut niveau d’abstention aux prochaines élections européennes (le 26 mai, en France) : entre 55 et 59 % des inscrits. Cet appel aux urnes pour élire, tous les cinq ans, les représentants du peuple français au Parlement de Strasbourg ne connaît décidément pas de succès : 51,3 % d’abstention en 1989, 57,2 % en 2004, 59,5 % en 2009 et 56 % en 2014. Pourtant, ce sont, peu ou prou, les mêmes Français qui ont conduit Emmanuel Macron à la victoire à l’élection présidentielle de 2017. Le candidat, pourtant ouvertement européiste, s’était aisément imposé, au second tour, face à une Marine Le Pen noyée dans ses notes durant leur face-à-face télévisuel. Elle fut, surtout, incapable de démontrer comment sortir de la zone euro sans encombre. Alors, la France est-elle européiste ou souverainiste ?

Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts. Marine Le Pen, encore chef de son parti rebaptisé pour la circonstance « Rassemblement national », a pris ses distances avec le projet gaulliste social qui était – officiellement – le sien. Ce projet était conduit, en fait, par Florian Philippot, qui l’a quitté pour fonder son propre mouvement. Ensuite, les provocations du Président Macron, relevant autant du mépris de classe que de ce qui peut être perçu comme une détestation rentrée pour l’identité française, ainsi que la crise « des gilets jaunes » ont largement entamé la cote de popularité du nouveau Giscard. Ces derniers, avec des revendications à la fois nationales et sociales – dans un arc de cercle idéologique très large partant des royalistes aux trotskistes –, ont, miraculeusement, secoué une opinion française lassée par la politique (près de 26 % d’abstention au second tour de la dernière élection présidentielle et plus de 57 % au second tour des dernières élections législatives).

Le Français semble ne pas savoir ce qu’il veut : il dit oui, en 1992, au traité de Maastricht, avec 51,04 % des suffrages exprimés et non, à 54,68 %, en 2005, au traité de Rome II (projet de Constitution européenne), avec 69,33 % de participation (une participation équivalente à celle de 1992, qui avait été de 69,70 %). Kierkegaard avait défini le paradoxe ainsi : "[C’]est la passion de la pensée ; un penseur sans paradoxe est comme un amant sans passion." Mais y a-t-il vraiment un paradoxe ? En définitive, les Français veulent quitter l’Union européenne, certes, mais pas à n’importe quel prix. Ils ont conscience que les conglomérats financiers peuvent user, à tout moment, de tous les moyens possibles et imaginables pour les contraindre de rester. L’investiture de l’ancien consultant de Goldman Sachs, Mario Monti, à la tête du gouvernement italien, de novembre 2011 à avril 2013, et l’humiliation qu’a dû subir, en 2015, le Premier ministre grec Aléxis Tsípras face au ministre des Finances allemand de l’époque, Wolfgang Schäuble, ont refroidi les ardeurs des plus souverainistes parmi « les irréductibles Gaulois ».

La sortie de l’Union européenne ne peut se réaliser que de manière concertée, et ce, en passant des alliances avec les États membres déterminés à rétablir leur souveraineté ; le but étant de fragmenter de l’intérieur, raisonnablement et progressivement, cette technocrature toxique, tant au niveau monétaire qu’au niveau commercial et territorial. Enfin, jusqu’à quand les Français les plus modestes pourront-ils supporter le tri darwinien qu’opèrent la Macronie et ses investisseurs entre les prétendus « sachants » et les supposés « ignorants », ou entre les forts et les faibles, ou encore entre les hybrides et les identitaires ? Des guerres ponctuelles contre une paix perpétuelle. Encore un paradoxe français…

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Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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