Espagne-Catalogne : le premier mort

Il sort de chez lui, tard dans la nuit ; il entre dans un bistrot en plein centre de Saragosse ; il prend un verre au comptoir ; il se fait insulter par des jeunes à la mine de punks à chien ; il quitte le bistrot : il ne veut rien savoir de tels gens ; il s’écroule dans la rue, frappé sur la tête ; il n’a eu, attaqué par le dos, aucune chance de riposter.

Il est mort trois jours après. Il avait commis un seul crime : porter des bretelles aux couleurs du drapeau espagnol. Des bretelles qui ont provoqué la colère de l’assassin. « Sa compréhensible indignation », plaidera peut-être son avocat.

Il s’appelait Víctor Laínez. Il avait 55 ans et ajoutait deux autres crimes à celui des bretelles : il était catalan mais anti-séparatiste. Et il était, de surcroît, un ancien légionnaire, sympathisant de Falange Española.

Le punk à chien, lui, est un homme d’ultragauche, de progrès, de paix. Un « antisystème », disent les médias du Système, incapables de reconnaître que, sous leurs dehors transgresseurs, ces chiens-là ne font que soutenir le Système qui écrase les patries et bafoue les identités.

Le chien assassin n’en est, d’ailleurs, pas à son premier coup. Il s’agit d’un Chilien, petit-fils de l’amiral Sergio Huidobro, un des soutiens du général Pinochet (ainsi va le monde…) et dont la mère est devenue une active militante de CUP (l’extrême gauche sécessionniste catalane, héritière des anarchistes, communistes et socialistes qui ont semé la terreur rouge en 1936-39). Et voilà qu’un tel agneau avait déjà, en 2006, rendu tétraplégique un policier de Barcelone auquel il s’en était pris devant une maison squattée. Le policier étant devenu muet et paralysé, ceci entraîna, pour son attaquant, sept années de prison et, pour ses amis gauchistes et indépendantistes, toute une campagne de solidarité : grande vidéo de soutien à la télévision catalane, visite à sa famille de la part de Pablo Iglesias, le leader de Podemos qui s’est maintenant borné à condamner du bout des lèvres la nouvelle héroïcité de son ami, etc.

La tension, on le voit, devient de plus en plus grande entre ce qu’un poète comme Antonio Machado appelait « les deux Espagne » ou, plus exactement, entre l’Espagne et l’anti-Espagne : celle qui voit rouge (c’est le cas de le dire…) rien qu’à remarquer des bretelles aux couleurs nationales.

En dehors de quelques exceptions méritoires, la mouvance identitaire européenne s’est déshonorée, dans le conflit catalan, en prenant d’une façon nette le parti de l’anti-Espagne. Tel est, très notamment, le cas du mouvement nationaliste flamand, dont l’hispanophobie semble remonter à des affrontements d’il y a cinq cents ans. Or, voyant qui, dans le conflit catalan, souhaite la perte de l’Espagne – notamment les plus fervents partisans du Grand Remplacement –, il serait temps que la mouvance identitaire se demande avec quelle sorte de gens elle est en train de faire chemin ensemble.

En Espagne, lorsqu’un combattant tombe frappé par l’ennemi, on l’appelle, du moins dans l’Espagne nationale, un "caído". Víctor Laínez, c'est bien le premier "caído" dans le conflit qui oppose l’Espagne et une partie de sa région catalane. Honneur à sa mémoire !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 19:09.
Javier Portella
Javier Portella
Écrivain et journaliste espagnol

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