[Entretien] Marie-Laure Buisson : « Les femmes qui m’ont fascinée le plus ont approché le monde combattant »

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Marie-Laure Buisson est colonel de réserve dans l'armée de l'air, présidente de sa fondation qui vient en aide aux blessés de guerre et marraine du 4e régiment étranger. À l’occasion de la fête des Mères, elle évoque pour Boulevard Voltaire son livre Femmes combattantes, qui brosse le portrait de sept « femmes courage » (Éditions Presses de la Cité).

Gabrielle Cluzel. Marie-Laure Buisson, pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce livre ?

Marie-Laure Buisson. Depuis toute petite, j'ai toujours été intéressée par les femmes « fortes » qui ont fait avancer le cours de l’Histoire. Elles ont été souveraines et politiciennes, exploratrices et savantes, mathématiciennes et chimistes, peintres et poètes, aviatrices et même pirates ! Mais les femmes qui m’ont fascinée le plus sont celles qui ont approché le monde combattant : qu’elles aient eu les armes à la main ou qu’elles aient servi en appui des troupes, elles furent nombreuses à travers les siècles, et on ne leur rend que trop rarement l’hommage qui leur est dû. C’est un fait. Par ailleurs, il se trouve que j'ai vu, il y a trois ans, un reportage, tard le soir, sur le destin étonnant de la Britannique Susan Travers, seule et unique femme à avoir jamais été enrôlée dans la Légion étrangère. Cette femme exceptionnelle a vécu la bataille de Bir Hakeim en Libye de l'intérieur, puisqu'elle y a participé en tant que chauffeur du général Koenig : c'est elle qui, dans la nuit du 10 au 11 juin 1942, a sorti Koenig et Dimitri Amilakvari (le héros de la 13e demi-brigade de Légion étrangère) de l'étau dans lequel le général Rommel les avait enfermés. En réussissant à franchir trois lignes de mitrailles allemandes, elle a sauvé la vie de ces deux grands héros de la France libre. Ils ont été faits compagnons de la Libération à juste titre. Quant à Susan Travers, on l'a éradiquée de la grande Histoire, on a rayé son nom des livres et des rapports et on a déchiré ses photos. Pourquoi ? Parce qu'il se trouve qu'elle avait vécu une grande passion avec le général Koenig et qu'on ne voulait pas, à l'époque, que cela se sache. Alors, on a choisi de sacrifier cette femme, de la néantiser alors même qu'elle a participé au premier grand fait d'armes des gaullistes et qu'elle a même continué la campagne de France jusqu'à la Libération. J'ai trouvé cela injuste pour elle. Alors, j'ai voulu raconter son histoire.

G. C. Comment avez-vous choisi ces figures féminines « combattantes » ?

M.-L. B. Passionnée par l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, j'ai commencé mon livre par des héroïnes de cette époque. Deux de mes grands oncles ont été pilotes au sein du Normandie-Niémen, et j'ai voulu parler du courage des Soviétiques à cette époque. Tout le monde a oublié que l'URSS a compté dans ses rangs près d'un million de femmes qui se sont battues contre les nazis comme pilotes de chasse, tankistes, téléphonistes, tireuses d'élite, etc. Je fais le portrait de la plus grande pilote russe de cette époque, Lydia Litviak, que l'on appelait « la Rose blanche de Stalingrad ». Cette jeune femme de 20 ans ressemblait à une petite poupée blonde aux yeux bleus (elle faisait 1,50 m), et pourtant, elle fut la terreur des nazis dans le ciel de Stalingrad en 1942 et 1943. Je raconte aussi l'histoire des sorcières de la nuit, ces jeunes filles que les Allemands craignaient plus que tout et qui les bombardaient la nuit à bord de leur petit biplan alors qu'elles en avaient coupé le moteur pour se laisser chuter sur les positions des hommes de Paulus et mieux les attaquer en silence. Je brosse aussi le portrait de Noor Inayat Khan, une princesse indienne, musulmane soufie et pacifiste, qui a travaillé pour les services secrets anglais dans la France occupée. Naturellement, je parle aussi de Geneviève de Galard, d'une jeune mère hongroise qui a quitté la Palestine sous mandat britannique pour retourner à Budapest en 1944 et tenter de sauver les Juifs de l'invasion nazie, de Jihane, une commandant kurde qui a libéré Raqqa après avoir été presque mortellement blessée par Daech. Enfin, je fais le portrait contemporain d'une jeune capitaine de l'armée de l'air française qui a infiltré une filière touarègue djihadiste au Nord-Mali afin d'aider à la neutralisation d'un terroriste islamiste.

G. C. Quelle est celle qui vous a le plus marquée ?

M.-L. B. Toutes m'ont éblouie. Chacune à sa façon. Geneviève de Galard m'a marquée par sa simplicité et sa foi inébranlable (je l'ai rencontrée chez elle en juillet dernier). Elle est une combattante exceptionnelle car elle ne s'est jamais laissée gagner par la haine ou le ressentiment. L'amour qu'elle porte à son prochain est sans doute ce qui l'a guidée de manière admirable pour supporter les tourments de Ðiện Biên Phủ, enfermée dans les boyaux de terre de la cuvette, là où tant d'hommes sont morts dans ses bras. Les conditions de vie sur place étaient insupportables : la chaleur, l'humidité de la mousson, les bactéries, les odeurs, le phosphore dégagé par les obus du Viet-minh, le bruit des explosions, le hurlements des blessés... Il fallait avoir un tempérament d'acier pour résister à cela.

G. C. En ce jour de fête des Mères, il y a peut-être une grande absente : Caroline Aigle, qui s’est à la fois brillamment engagée sur le terrain militaire, mais dont le dernier courageux combat a été celui de la maternité. Une source d’inspiration pour un prochain livre ?

M.-L. B. Caroline Aigle était en effet une jeune femme admirable qui a mis au monde son second enfant alors qu'elle se savait condamnée. C'est aussi le cas de toutes mes héroïnes : elles se sont battues pour des valeurs qui les dépassent, ont combattu pour des causes nobles, en les affrontant avec un courage et une dignité qui les honorent. Certaines sont mortes très jeunes, comme Caroline, mais elles nous laissent un message que notre jeunesse doit entendre : le sens de l'honneur, de l'engagement, et le dépassement de soi.

 

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

15 commentaires

  1. Sans oublier les Jacqueline Domergue , Valérie André ,ou les Rochambelles ……on ne peut toutes les citer et pourtant Dieu sait qu’elles le méritent amplement
    Merci Mesdames

  2. Et ne parlons pas de toutes ces femmes qui ont subi l’horreur des camps de concentration, comme Simone Veil ou la petite Anne Franck.

  3. Elles en pensent quoi les féministes ? Tout ça n’est pas très intersectionnel ….. Je m’arrête là.

  4. Des femmes passionnantes dont on ne parle pas qui vont gagner à être connues grâce à ce livre …cela nous changera des passionaria d’opérette ridicules !

  5. J’espère qu’une place y est faite à Agustina de Aragôn contre les hordes Napoléoniennes et à la berbère Kahina contre celles venues d’Arabie….véritables Jeanne d’Arc.

  6. On reconnaît des héros à notre temps mais trop souvent masculins.
    Une recension des héroïnes de ce temps-ci est très bienvenue : A part Geneviève de Galard, je n’ai jamais entendu parler des autres .
    (« le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit »).
    Merci!

  7. Merci de rappeler l’héroisme de toutes ces femmes, dont l’humilité n’a d’égal que le courage ! Reléguée à l’arrière plan, Susan avait de quoi l’avoir « en travers » ! Mais elles avaient toutes le sens du sacrifice, de la patrie et de l’amour du prochain…Elles ont toutes fait honneur à la France, nous transmettant leurs valeurs éternelles !

  8. L’armée est certainement l’une des institutions où l’égalité homme/femme est la mieux respectée . oui les femmes ont autant de capacité que les hommes, il est des régiments, où la capacité physique fait que les hommes sont majoritaires , mais les femmes sont aussi capables de piloter un hélicoptère ou un avion de chasse. Ce n’est pas en tolérant ce communautarisme revendicatif qui cherche à imposer le hijab ou le burkini, qu’on fera avancer l’égalité et la liberté .

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