[Entretien] « La peine de mort a été enlevée à la souveraineté des citoyens »

photo-output

Jean-Louis Harouel est agrégé des facultés de droit, professeur émérite à l’université Paris II. Auteur de Libres réflexions sur la peine de mort, il réagit à la polémique qui a opposé, jeudi, sur Twitter, Jordan Bardella, président du RN, à plusieurs membres du gouvernement au sujet de la peine de mort.


Gabrielle Cluzel. Jordan Bardella, sur BFM TV, interrogé, jeudi matin, sur le meurtre de la petite Rose, dans les Vosges, a affirmé que même s'il ne souhaitait pas le retour de la peine de mort, force était de reconnaître que « la suppression de la peine de mort avait effondré l'échelle des peines dans notre pays ». Plusieurs membres du gouvernement ont aussitôt fondu sur lui dans un raid numérique, espérant sans doute susciter un bad buzz : « Le parti de la guillotine est de retour » (Éric Dupond-Moretti), « Qu'elle est dure à masquer, cette mélancolie de la pendaison et de l'injection létale. La normalisation de l'extrême droite n'est qu'un leurre » (Olivier Véran), « Dès qu'on gratte, le vernis tombe. L'extrême droite se travestit, elle ne change jamais » (Clément Beaune), etc. Que vous inspire ce « tir groupé » gouvernemental ?

Jean-Louis Harouel. Cela traduit de la part du gouvernement un soulagement jubilatoire. Il espère avoir trouvé là un moyen de replonger le Rassemblement national dans la diabolisation dont celui-ci a su se libérer. Se posant en seule alternance crédible du pouvoir actuel, le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella déploie une force tranquille qui fait très peur au gouvernement, lequel voit à juste titre en lui son grand adversaire. En montant en épingle ce propos évoquant les effets pervers de la suppression de la peine de mort, les gens au pouvoir tentent de rejeter à nouveau le Rassemblement national derrière un cordon sanitaire. Mais c’est une opération de pure politique politicienne, sans rapport avec la réalité. L’argument selon lequel être favorable à la peine de mort serait en soi une opinion d’extrême droite est intellectuellement et historiquement faux. Dans les années 1980, les partisans du rétablissement de la peine de mort se réclamaient pour l’essentiel du gaullisme et s’étaient rassemblés sous la bannière de Jean Foyer, professeur de droit et ancien garde des Sceaux du général de Gaulle. Et si souhaiter le rétablissement de la peine de mort suffit à classer à l’extrême droite, cela veut dire que la majorité des Français s’y trouve.  

G. C. Effectivement, un sondage Ipsos-Le Monde, en 2020, avait révélé que 55 % des Français étaient favorables au retour de la peine de mort. Une fois de plus, le gouvernement ne fait-il pas montre d'une certaine déconnexion dans sa réaction ?

J.-L. H. Cette déconnexion est en l’espèce évidente, mais elle n’est pas l’apanage du seul gouvernement actuel. Dans l’affaire de l’abolition de la peine de mort, voici plus de quarante ans que se pratique un mépris des élites pour le sentiment populaire. Promoteur de l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter savait bien que c’était « contraire au sentiment général des Français », mais estimait qu’il fallait « braver le sentiment commun ». Cependant, cette déconnexion se manifeste encore plus clairement par le fait que la question de la peine de mort a été enlevée à la souveraineté des citoyens. Alors que, dans une démocratie, une mesure votée par le Parlement n’a rien de définitif car une nouvelle législature peut changer ce qui a été voté par la précédente, on a tenté de rendre l’abolition irrévocable. Pour cela, l’interdiction de la peine de mort est, depuis 2007, inscrite dans la Constitution, et surtout dans les traités internationaux que les autorités françaises ont tenu à ratifier afin de tâcher de rendre impossible tout retour en arrière. Or, sans la possibilité de réinscrire la peine de mort dans le Code pénal, la souveraineté du peuple n’est pas complète et la justice non plus. Cela traduit une profonde méfiance et un parfait mépris envers le peuple théoriquement souverain.

G. C. Que veut dire, exactement, Jordan Bardella quand il parle d'effondrement d'échelle des peines lié à la suppression de la peine de mort ? Et n'est-ce pas un peu contradictoire de dire en même temps qu'il ne souhaite pas le retour de la peine de mort ?

J.-L. H. Ce que dit Jordan Bardella reprend presque mot pour mot ce que j’ai écrit dans mon livre Libres réflexions sur la peine de mort. Par sa simple présence dans la loi, la peine de mort, si peu appliquée qu’elle fût, était la clé de voûte d’un système pénal juste qui restait fondé sur l’idée de responsabilité, laquelle combinait deux principes : réparation et expiation. Placée au sommet de la hiérarchie des peines, la peine de mort légitimait du même coup toutes les autres peines, qui paraissaient douces par comparaison. La suppression de la peine de mort a enlevé à la justice pénale sa clé de voûte. Et cela a délégitimé par contrecoup toutes les autres peines, a jeté sur elles une suspicion. Fondée, sans qu’on ait osé le dire clairement, sur l’idée d’irresponsabilité, l’abolition de la peine de mort a été un ferment de désagrégation du système pénal. Agissant comme une onde de choc, l’abolition a été génératrice, à tous les niveaux, d’une impunité toujours plus grande des criminels mais aussi des délinquants. Avec, pour conséquence, que la justice se trouve pervertie et crée l’insécurité. Quand il s’agit du risque pour les innocents que constitue la mise en liberté de criminels dangereux, le fameux principe de précaution, qui obsède tant notre société dans tant de domaines, est superbement ignoré.

Cela étant, la solution de la perpétuité réelle prônée par le Rassemblement national n’est malheureusement pas viable dans le contexte actuel. Elle a pu se montrer efficace dans la Suisse du XIXe siècle, société extrêmement religieuse et rigoriste, dans laquelle l’idée de responsabilité s’affirmait avec une très grande force, ce qui légitimait le système pénal. Inversement, les sociétés occidentales actuelles sont dominées par une idéologie humanitaire anti-pénale fondée sur l’idée que les criminels et les délinquants sont en réalité des victimes, si bien que la société n’a pas le droit de les punir, mais qu’elle a en revanche le devoir de favoriser leur réadaptation sociale, mission qui est devenue l’objectif central du système pénal. La revendication de l’abolition de la peine de mort a été le cheval de Troie qui a permis à l’idéologie anti-pénale d’envahir le système pénal et de le détruire de l’intérieur. Le même humanitariste anti-pénal qui a obtenu la suppression de la peine de mort proclame, aujourd’hui, que toutes les peines restantes sont excessives. Et, en particulier, il conteste pour motif d’inhumanité l’idée d’un enfermement perpétuel. Du fait de la présence agressive de l’idéologie anti-pénale dont l’abolitionnisme a été le fer de lance, il n’y a pas d’autre moyen que le rétablissement de la peine de mort pour restaurer la justice, en réaffirmant à son plus haut niveau le droit et le devoir de la société de punir les criminels.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

63 commentaires

  1. Il faut imaginer ce qu une dictature ferait de la peine capitale un moyen de purge contre ses opposants. de plus dans un pays comme le nôtre où la justice est une vaste mascarade bcp d innocents seraient condamnés. Pour moi la peine capitale n est en rien dissuasive par contre pour ceux qui commettent des crimes une peine exemplaire et incompressible avec pourquoi pas la réouverture des bagnes.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois