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L’histoire du cinéma est parfois ironique. Ainsi, l’anticlérical le plus antifranquiste des metteurs en scène espagnols se nommait… Jesús Franco ! Certes, dans ses mémoires, récemment traduits en français, mais difficilement trouvables, à moins d’être très fin limier, l’homme aux plus de deux cents films admettait que sa carrière avait été souvent facilitée par l’un de ses amis, patron de la censure d’alors, mais qui, ancien ponte de la Phalange, l’aile « fascisto-révolutionnaire » du franquisme, estimait que le Caudillo en rajoutait parfois un peu trop dans la bondieuserie. Comme quoi...

L’autre ironie, c’est que Opération Re Mida, pochade d’espionnage sortie en 1967, préfigure les aventures de notre fameux agent OSS 117 national ; enfin, celles en version parodique, avec Jean Dujardin - aujourd’hui les plus connues du grand public. Ce qui nous amène encore – pardonnez à l’avance cet autre détour – à une autre ironie. En effet, bien avant l’Anglais James Bond, il y eut le très Français Hubert Bonisseur de La Bath. Sa première aventure sur papier, signée Jean Bruce ? 1949. Pour l’autre, ayant vu le jour sous le clavier de Ian Fleming ? 1953. Il n’y a pas photo. Première adaptation cinématographique ? OSS 117 crève l’écran, dès 1957, avec OSS 117 n’est pas mort, de Jean Sacha. 007 est loin derrière, avec James Bond contre Dr No, en 1962*.

Mais là où réside le génie du film de Jesús Franco, magnifiquement réédité par les nobles artisans d’Artus films, c’est qu’il anticipe la dégénérescence à venir du film d’espionnage façon guerre froide. En 1967, il y pressent ce qu’il a de déjà parodique dans cet affrontement Est-Ouest résumé à une lutte eschatologique entre le Bien et le Mal. Ainsi, le chevalier du monde libre d’Opération Re Mida, Lucky Mulligan, espion très couillon, n’hésite pas à se grimer en héros de carnaval, mi-Fantomas, mi-Zorro. Il est imbu de sa personne, ne comprend globalement rien à rien et se trouve flanqué d’un acolyte plus jeune et très beau, raillant par avance la bien-pensance gay à venir. Bref, le futur OSS 117 de Jean Dujardin n’est pas loin.

Du côté de l’Empire rouge, c’est encore plus croquignolet, avec une commissaire politique albanaise ne parvenant à décoller vers le septième ciel que fouet à la main, sous un portrait en majesté du Grand Timonier, Mao Tsé-toung himself. Et c’est là qu’avec un budget plus que rachitique, Jesús Franco signe un film parfaitement avant-gardiste. D’ailleurs, Michel Hazanavicius, auteur des pochades dujardinesques, s’en est manifestement inspiré. Pour ces deux films consacrés au héros créé par Jean Bruce, bien sûr, mais surtout pour cet OVNI cinématographique que demeure La Classe américaine, détournement des classiques hollywoodiens à la manière situationniste.

Pour conclure, Opération Re Mida est à voir, telle une jouissive incongruité, totalement foldingue, parfaitement échevelée, quelque part entre Harold Lloyd et Buster Keaton. Dire que cela a été filmé il y a plus d’un demi-siècle… Les Inconnus et autres Nuls n’ont décidément rien inventé ! Et une mention toute particulière pour la sublime et trop oubliée Rosalba Neri, qui y montre ses jambes comme si sa vie en dépendait. Rien que pour ça, ce film mérite hautement la revoyure, si ce n’est au moins la découverte. Après, on a toujours le droit de préférer Omar Sy dans Arsène Lupin. Mais tous les mauvais goûts sont dans la nature, dit-on.

* Même si Casino Royale, téléfilm souvent oublié des exégètes de l’agent fétiche de Sa Très Gracieuse Majesté, fut tourné en 1954, avec Barry Nelson dans le rôle-titre.

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06 mars 2021 à 15:34

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