DVD : Les Vieilles Légendes tchèques

La modernité triomphante n’épargne plus rien ni personne, et surtout pas les enfants, que ce soit sur les tableaux noirs des écoles ou les tablettes des salons. Pour quelques exceptions, dont les aventures de Wallace et Gromit, des artisans anglais du studio Aardman, c’est à qui proposera le plus laid, le plus… comme la Lune. Pour tout arranger, les bouses destinées aux plus jeunes ont des allures de catéchèse : ouverture à l’Autre, discours pour Miss France sous Tranxene® et autres niaiseries de patronage.

Alors, que grâce soit rendue aux passionnés de chez Artus Films, très souvent cités en ces colonnes (mais, que voulez-vous, ils font leur boulot comme personne), qui ressortent aujourd’hui un véritable chef-d’œuvre du cinéma européen : Les Vieilles Légendes tchèques, du maître marionnettiste Jiří Trnka. Il s’agit là de l’adaptation de légendes médiévales, pourtant réputées inadaptables, contant la naissance de la nation tchèque. Un film rien que pour les petits ? Pas du tout, pour les grands, aussi, à condition d’avoir un peu conservé une âme d’enfant, évidemment.

Assez ironiquement, cet authentique bijou du septième art est une entreprise d’État, et pas n’importe lequel : la Tchécoslovaquie communiste de 1952. Et Jiří Trnka est tout, hormis communiste, à l’instar d’un de ses confrères, le tout aussi immense Karel Zeman. L’étrange paradoxe de la censure, c’est qu’elle tend souvent à développer l’ingéniosité, l’art du contournement ; Luis Buñuel en savait quelque chose, lui dont les films majeurs furent tournés durant l’ère franquiste. « Ça poussait à se dépasser », avouera-t-il plus tard, avec une certaine nostalgie.

Ainsi, ces Vieilles Légendes tchèques qui auraient pu tourner au pathos de propagande exaltent bien, au contraire, des valeurs singulièrement peu socialistes : amour de la patrie, respect des anciens, dévotion au roi à condition qu’il se montre juste et généreux. La question religieuse se trouve, là encore, traitée en creux : sachant qu’il est impossible de célébrer la foi chrétienne, Jiří Trnka fera acte de dévotion vis-à-vis d’anciennes croyances païennes discrètement mâtinées de catholicisme. Bien joué.

Visuellement, ce film est un régal pour l’œil. Les marionnettes animées image par image présentent la même grâce, la même dimension poétique que celles du géant Ray Harryhausen, l’homme du Septième Voyage de Sinbad et de Jason et les Argonautes ; la touche de Trnka en plus. En effet, à la fois sculpteur, graveur et dessinateur, l’homme est emblématique de cette école graphique d’Europe centrale voulant qu’on aille à l’essentiel, à la stylisation. D’où ces décors minimalistes finalement plus beaux que nature. L’un de ses plus célèbres admirateurs ? Jean Cocteau. Entre poètes, on se comprend.

Le metteur en scène du Testament d’Orphée n’est d’ailleurs pas le seul : en 1953, le film de Jiří Trnka emporte le Lion d’argent à la Mostra de Venise, est distingué au Festival de Locarno et à celui de Montevideo. Les films de cet artiste hors normes, symbole d’une époque où créer équivalait à prendre des risques quotidiens - risques peut-être légèrement moindres pour nos barbouilleurs contemporains -, étaient jusque-là uniquement disponibles en imports anglais et américains. Ces Vieilles Légendes tchèques est donc le premier film à être, enfin, réédité en nos contrées, assorti de plus d’un passionnant documentaire sur ce bricoleur de génie et d’un copieux essai de près de cent pages ; le tout en forme de beau livre. Et pour pas cher, tant qu’à faire. Une idée de cadeau pour les enfants ou les petits-enfants à, bien sûr, regarder en famille ? Ne cherchez plus.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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