Desproges, trente ans déjà

Pierre Desproges est décédé il y a trente ans et tout le monde en veut un morceau. Mais l’insaisissable humoriste échappe à la moindre appropriation, comme un pied-de-nez post mortem pour celui qui frappait tous azimuts, de sa plume éminemment littéraire et effilée comme une lame de rasoir caustique.

En effet, beaucoup l’encensent exagérément, qui défendent en même temps la théorie du genre, l’écriture inclusive, les accommodements raisonnables avec certaines agitations cultuelles, la chasse au porc, etc. Toutes choses dont Desproges se serait vraisemblablement fait un festin.

Par ailleurs, désormais que la moindre incartade vous assure une invitation VIP à la 17e chambre correctionnelle de Paris, un humour aussi strident pourrait-il encore exister ?

Souvenons-nous, lors de l’inoubliable émission de radio "Le Tribunal des flagrants délires", du "réquisitoire" contre Yannick Noah : "Ce qui frappe d’emblée dans le personnage de Yannick Noah, me disait tout à l’heure mon ami Rabol, ce n’est pas le tennisman. C’est le nègre." Serait-il encore possible de jouer un sketch comme "Les Juifs", où il est question de leur hostilité à l’égard du régime nazi ? Quant à cette sortie, l’humoriste, s’il vivait encore, serait peut-être obligé de compter ses jours : "Les animaux sont moins intolérants que nous : un cochon affamé mangera du musulman" (Chroniques de la haine ordinaire).

Desproges n’aimait pas l’armée, qu’il avait pratiquée, raillait volontiers le christianisme et, à une certaine droite, il adressait des saillies de ce genre : "Au lieu de vous emmerder à lire tout Sartre, achetez Minute : pour dix balles, vous aurez La Nausée et Les Mains sales."

Et avec la fameuse comparaison de la queue d’un chien avec l’œil de Jean-Marie Le Pen, le doute n’est plus permis, Desproges n’était ni d’un bord ni de l’autre.
Politiquement, il se résumait plutôt dans cette phrase : "À part la droite, il n’y a rien au monde que je méprise autant que la gauche."

Desproges était surtout une vigie salutaire défiant la censure, laquelle attaque à présent inlassablement les côtes de nos libertés, par la volonté sans nuance de matons de la nouvelle morale, qui confine souvent à la bêtise, et ignorant sûrement cette phrase prononcée par le défunt dans un spectacle : "L’intelligence, c’est le seul outil qui permette à l’homme de mesurer l’étendue de son malheur."

Audace risquée de nos jours, Desproges a publiquement ri de tout. Peut-être pas avec n’importe qui, mais au moins, avec panache et sans fausse retenue, jusque dans un domaine, rétrospectivement, pas drôle : "Il y a si longtemps maintenant que j’attends mon cancer, je ne vais quand même pas partir sans lui" (Chroniques de la haine ordinaire).

Nous, tout compte fait, nous aurions préféré que le crabe s’en aille sans lui, ce 18 avril 1988, parce qu’effectivement, "la nostalgie, c’est comme les coups de soleil : ça fait pas mal pendant, ça fait mal le soir" (ibid.).

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