Des croisiéristes français que l’on refuse de débarquer à Marseille : elle est pas belle, la vie de la technocratie !
Radassé dans son fauteuil, le bonhomme tétait sa bouffarde en lisant le journal lorsqu’on toque au carreau de sa porte. Il se lève, écarte de la main le rideau et jette un coup d’œil. Un quémandeur. Un de plus ! Il entrouvre et, avant même que le gars ait pu en placer une, lâche en grinçant : « Non ! Non ! Non ! On a déjà donné » et referme sa porte.
Le bonhomme s’appelle Pierre Dartout. Il ne fume pas la pipe, mais il est préfet des Bouches-du-Rhône. Le quémandeur – un raseur ! – répond au nom fleuri de Costa Deliziosa, un géant des mers de 300 mètres de long. À bord, 2.000 personnes, équipage inclus, sur le point de terminer un tour du monde de rêve de quatre mois. La pandémie a surpris tout ce petit monde en pleine mer, c’est dire si le confinement a été, sans le vouloir, parfaitement respecté. De fait, il n’y a aucun malade à bord. La croisière doit se terminer le 26 avril, à Venise.
Devant le risque d’un débarquement en Italie, les 400 Français à bord ont demandé au croisiériste de les débarquer à Marseille. La requête est transmise au préfet des Bouches-du-Rhône. Réponse : « Non ! Non ! Non ! On a déjà donné » ! et il ferme son port.
Abrité derrière le décret de fermeture des frontières, le préfet argue qu’il y a déjà dérogé pour faire accoster six navires de croisière depuis le 15 mars, alors ça va bien comme cela ! Ça, c’est le côté « On a déjà donné ».
Et puis, ajoute-t-il, cette compagnie n’a pas à se plaindre : on a déjà accueilli deux de ses bateaux. Ça, c’est le côté « Il en faut pour tout le monde ».
Il poursuit en annonçant que trois navires de croisière arrivés avant le 15 mars sont toujours à quai et prennent la place. Ça, c’est le côté « J’ai pas l’intention de me bouger ! »
Enfin, il nous sert l’habituel brouet : « Ces opérations mobilisent déjà très fortement les forces de sécurité et les autorités sanitaires. Le centre de crise du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est pleinement mobilisé pour trouver une solution de débarquement rapide des passagers français dans les conditions de sécurité sanitaire qu’impose le contexte de la pandémie de Covid-19. » Ça, enfin, c’est le côté bras d’honneur ! Vous autres, là-haut, débrouillez-vous avec la patate chaude !
Quand on voit l’activisme forcené 24/24 des personnels soignants, partout, dans tous les hôpitaux, cliniques, dispensaires, laboratoires, les trésors d’imagination pour faire face, les logistiques improvisées en une nuit et mises en œuvre au petit matin, le dévouement de tous ces gens, et pas seulement médicaux, qui n’ont pas eu un jour de repos depuis deux mois, cette mobilisation totale des esprits et des muscles, quand on voit tout cela et que l’on regarde le bonhomme derrière son rideau, on est pris comme d’une sorte de rage, vous voyez...
Aux dernières nouvelles, le navire a accosté à Barcelone. Les Français seront rapatriés par mer jusqu’à Sète, puis transportés par la route à Montpellier. Cette ville, approchée par le préfet de l’Hérault, s’est mise en mesure de les accueillir.
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