« Da Vinci » Dmytro Kotsiubailo, héros ukrainien, et Maxime Blasco, héros français : quelle différence ?

da vinci

Sous le dôme d’or, ce vendredi 10 mars, les plaintes profondes des chantres du monastère Saint-Michel de Kiev accompagnaient « Da Vinci », Dmytro Kotsiubailo, 27 ans, dans son dernier voyage.

Né dans la région d'Ivano-Frankivsk, dans l'ouest de l'Ukraine, Kotsiubailo est mort au combat, le 7 mars, près de Bakhmout. Il avait participé activement à la « révolution de Maïdan » de 2014, étincelle génératrice du conflit russo-ukrainien dans le Donbass et en Crimée. Militant nationaliste, membre du Pravy Sektor (Secteur droit), il avait intégré sa milice dite Corps des Volontaires ukrainiens (DUK). Blessé par un obus de char russe lors d'une bataille dans l'oblast de Donetsk la même année, Kotsiubailo avait regagné le front trois mois plus tard.

En 2016, à 21 ans, le jeune officier avait reçu le commandement d’un bataillon mécanisé, opérant depuis lors sous le nom de « Da Vinci Wolves ». Pour ses actions de guerre, il avait reçu, fin 2021, l'ordre de l'Étoile d'or et, par là même, le titre de héros de l'Ukraine. Un héros vivant !

Un courage et une prise de risque indéniables pour un combattant politique devenu un symbole et dont le bataillon, intégré depuis 2022 à l’armée régulière, était choyé en conséquence : « Ce qui m'a surpris, c'est que chacune des positions de Da Vinci était entièrement équipée pour une bataille à grande échelle - il y avait toutes les armes imaginables », déclarait un combattant étonné des dotations perçues.

Lors du service funèbre, ce 10 mars, le pope a dénoncé « la horde du président russe Vladimir Poutine » qui « s'empare de nos plus beaux fils et filles », alors que des centaines de personnes étaient rassemblées à l'intérieur autour du corps de Kotsiubailo et de sa famille. « Dmytro a montré, par son exemple, comment aimer et défendre son pays », a-t-il poursuivi.

Chaque guerre a ses héros. Des hommes au cœur de feu, amoureux de l’intensité de la vie ; pas de sa durée. Outils de la propagande d’État à leur corps défendant, aussi. Devant ces images de Kiev, nous ne pouvons nous empêcher de penser à celles, poignantes, du cercueil couvert de tricolore de Maxime Blasco, tué au Mali, porté au pas lent de ses camarades, vêtus de blanc toundra, et suivi de son fils de 8 ans, un peu perdu, coiffé de la « tarte » de son père, dans la cour d’honneur des Invalides.

On sait que cet hommage « imposé » par un chef de l’État attentif à sa martialité de façade n’était pas vraiment désiré par les membres de sa famille. Mais les héros morts ne sont pas libres. Après avoir sauvé deux camarades en 2019, Maxime Blasco était retourné au Mali, considérant que sa « mission » n’était pas terminée

La mission véritable du héros, vivant aux actes d’exception, conquérant dans l’action de sa gloire à venir, mais mort dépossédé, est politique. Et posthume. Son sacrifice réel, mais mythifié en exemplarité par les marionnettistes de l’État, est toujours exploité dans un but cohésif. Dans ce sens, la Ire République avait créé la légende de l’enfant Joseph Bara, tombé à 14 ans contre les Vendéens ; la IIIe avait exploité Georges Guynemer, « as des as » contre le Teuton, abattu à 22. Ces images ont forgé des consciences et des vocations.

En pleine guerre d’Indochine, le général de Lattre avait axé l’objectif sur les exploits de Roger Vanderberghe et des « Commandos noirs », tué à 24 ans. Mais c’était un héros limité à l’animation d’un corps expéditionnaire dénigré. En s’emparant de Maxime Blasco, mort à 34 ans, et des autres héros tombés au Mali et honorés aux Invalides, le Président Macron suscite des émotions ponctuelles qui ne font pas cohésion nationale sur la durée. Car Blasco et ses frères de sacrifice sont morts pour la guerre lointaine et toujours décriée. Pas pour le pouvoir d’achat !

À Kiev, Dmytro Kotsiubailo, acclamé comme meurt un soleil, devient une icône ukrainienne. Son exemple de résistance est salué là-bas avec ferveur et par nécessité vitale de sa nation. Il sera révéré comme un saint quand Maxime et les siens sont déjà oubliés, comptés pour pertes et profits de la République Française Ve en sursis et privée d’idéal.

Pierre Arette
Pierre Arette
DEA d'histoire à l'Université de Pau, cultivateur dans les Pyrénées atlantiques

Vos commentaires

11 commentaires

  1. France : Patrie marâtre ! Sous peu, elle se battra la coulpe d’être venue semer la discorde au Mali…

  2. Il est très étonnant de lire qu’être « nationaliste Ukrainien » est bien ! être nationaliste Français …. pas bien …! Bizarre non ? être Nazi en Ukraine est bien !!! Venir au secours d’une population agressée depuis 2014 ( environ 14000 morts …) est une agression contre un pays « démocratique » ! Ne jamais dire que l’Ukraine est en tête des pays corrompus …. et continu allègrement avec l’argent des Français , entre autres !!! Pauvre France à la remorque des USA .

  3. Qui se souvient encore des 773 soldats morts en OPEX depuis 1963 en dehors de leurs camarades et leurs familles?

    • Et qui se souvient de nos 58 soldats morts au Mali , pays qui vient de nous mettre dehors sans état d’ame ni honte ?

  4. Tragique ironie de l’histoire : les néo-soviets qui ont tué Kotsiubailo qui défendait son pays ont poussé les Français hors du Mali pour la défense duquel Maxime Blasco est tombé.

  5. Ce que les gouvernements oublient à dessein de préciser dans leur propagande guerrière c’est que « la guerre tue » !
    Qui que soient les « héros » !
    L’exemple le plus proche, le président Macron son gouvernement, et de nombreux journalistes et/ou soi-disant « intellectuels » ,soi-disant cinéaste ou pas, tous pro 3ème guerre mondiale !

  6. Un aumônier a dit cela il y trop longtemps : Morts pour une chose morte . toujours trop vrai !

  7. Et moi qui croyais que les Pravy Sektor étaient des néonazis alors que ce ne sont que de simples « nationalistes ». Un peu turbulents certes, comme leurs camarades du régiment Azov. Me voilà donc rassuré …

  8. Depuis toujours la France n’a que mépris, au mieux indifférence, envers ceux qui se font tuer pour elle…. En gros et pour résumer, c’est prend tes médailles et ne nous emm…. pas …

  9. En parlant de personnes prénommées Dmytro, on a pas beaucoup de nouvelles de Dmytro Yarosh, le « Uber kommandant » des troupes, désormais régulières, AZOV de l’armée ukrainienne.
    Entre ses vidéos de propagande et sa hargne au combat, c’est pourtant un grand « héro » ukrainien.
    Son profil ferait-il tâche dans le récit »des gentils et des méchants » qu’on raconte en occident ?

  10. Très difficile l’hommage aux héros, et l’hommage aux morts. Je ne choisirai pas.

    Je note ceci, « … depuis 2022 à l’armée régulière, était choyé en conséquence : « Ce qui m’a surpris, c’est que chacune des positions de Da Vinci était entièrement équipée pour une bataille à grande échelle – il y avait toutes les armes imaginables », déclarait un combattant étonné des dotations perçues. ».

    J’avais déjà vu cela lors d’ans un autre conflit dans les deux dernières décennies. On peut s’interroger sur ce que sont les morts « humbles » au combat mais qui n’avaient pas l’équipement nécessaire. Que sont-ils ? Et bien sur je dis cela pour tous les morts « humble » de cet guerre civile depuis 2014, russophone compris.

    En 14, on a choisi … le héros était le soldat inconnu. Les héros et les morts « humble » étaient cités sur toutes les places de leurs villages.
    Avant 14, les héros et les morts « humbles » étaient aussi listé dans les églises … une autre époque.

    Une différence pour les Compagnons de Libération par que c’est un Ordre clos. Et que les huit compagnons inhumés au Mont Valérien, représentent la résistance intérieur FFI et la résistance extérieur FFL.

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