Contre le harcèlement scolaire, Emmanuel Macron a choisi le ton Petite Maison dans la prairie

voeux macron 31 décembre 2018

Mais qui lui a encore soufflé cette idée baroque ? À l’occasion de la Journée contre le harcèlement, Emmanuel Macron a décidé de s’adresser directement aux jeunes sur Snapchat pour leur dire que le harcèlement, c’est mal : il ne doivent pas laisser à l’écart ce camarade, cette « personne qu’[ils trouvent] bizarre », « une personne qui est souvent seule, moquée par un autre groupe d’élèves, moquée en direct dans la cour, dans la classe, sur les réseaux sociaux ». Il insiste : « Je suis sûr que vous voyez très bien de qui je parle. » « Vous vous dites peut-être que ce n’est pas très grave. Peut-être même que ça vous amuse parfois aussi. Vous vous dites au fond que ce n’est que des blagues » et il les exhorte d'un ton patelin : « Je vous demande pendant cette minute de vous mettre à sa place. D’imaginer la solitude, l’humiliation, les blessures. Et les blessures d’aujourd’hui et les blessures qui vont durer à cause de cel. »

On avait vu le président de la République dans beaucoup de rôles de composition, pas encore dans celui d’institutrice de La Petite Maison dans la prairie. Celui-ci ne lui sied guère, on l'a vu meilleur acteur, surtout plus malin et moins maladroit. S’adresser au « groupe classe », comme s’il était dans sa globalité « harceleur », en lui montrant du doigt le pauvre gars à l’écart pour implorer un peu de commisération est un bleu psychologique dont la victime - qui s’est reconnue elle aussi - ne se remettra pas. C’est enfoncer un peu plus le couteau dans la plaie et tourner bien fort. Ceux auxquels le président de la République accorde de l’importance, ce sont les harceleurs puisque c'est à eux qu'il s’adresse (gentiment !) - et ce n’est pas rien d’avoir droit à l’attention du chef de l'État. Il tombe d’accord avec eux pour reconnaître le caractère « bizarre » de celui qui est exclu, merci pour lui, et l’exclut un peu plus en formalisant le fait qu’il est seul contre tous… quand ce dernier n’aspire - c’est de son âge - qu’a faire partie du groupe. C’est, au contraire, les harceleurs qu’il faudrait isoler, dont il faudrait parler à la troisième personne car ils ne méritent pas un regard, encore moins une parole, du président de la République.

Personne ne l’a donc prévenu que l’univers sordide qui pousse certains, à peine âgés de 11 ans ou 12 ans, à se pendre, n’a pas grand-chose à voir avec l'école bucolique de Laura Ingalls ?

Ces paroles lénifiantes sont les mêmes que celles du directeur, du professeur, et de toute la hiérarchie scolaire, qui usent de l’euphémisation pour ne pas avoir à user de la coercition. Sans doute le phénomène du souffre-douleur ne date-t-il pas d’aujourd’hui. Bien sûr, les réseaux sociaux sont une donnée exogène contre laquelle on ne peut rien. Mais c’est bien notre école laxiste où règne, comme dans le reste du pays, la loi du plus fort, où les valeurs sont inversées, le bon élève étant conspué et le caïd glorifié, où l’on cherche, comme ailleurs, à acheter la paix sociale, où l’on ne fait rien pour lutter contre la vulgarité ni contre la présence importune d’élèves incapables de suivre et, de ce fait, aigris, désœuvrés et vengeurs, qui l’a affreusement amplifié.

Comment regarder en face ces mères dévastées par le suicide de leur petit ? Et on espère tout changer par une vidéo présidentielle digne d'un mercredi après-midi sur Gulli ? Le soir du réveillon, va-t-il aussi, façon Père Castor, demander aux brûleurs de voiture - presque des enfants aussi, nous dit-on - d’aller prendre leur bain, de se laver les dents et surtout d’être bien polis avec les policiers ?

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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