Qu’est-ce qu’une fausse bonne idée ? La plupart du temps, c’est une idée à la noix. Une vraie mauvaise idée, si on veut rester poli. Les réunions de travail, séminaires d’entreprises et autres remue-méninges en sont truffés. On ne l’a pas entendu de la journée et là, d’un coup, on sait pas pourquoi, il prend la parole : « Je vais peut-être dire une bêtise, mais si on… » Là, plusieurs options possibles. Brutale : « Oui, effectivement, c’est une bêtise. Merci de l’avoir exprimée. Vous pouvez reprendre votre sieste. » Perfide : « Effectivement, l’idée est à creuser. Vous nous faites un exposé avec diapos pour demain matin 9 heures ? » Participative : « Qu’est-ce que vous en pensez, les gars ? Y a de l’idée. On y réfléchit ensemble ? » Dix litres de café plus tard, on arrive à la conclusion que, finalement, c’était une fausse bonne idée…

La vie politique, elle aussi, en regorge, de fausses bonnes idées. Tiens, une toute chaude, ou presque, sortie du four en début de semaine. Et si on offrait un bonus kilométrique aux celles et ceux qui accepteraient de télécharger l’application StopCovid ? C’est une blague ? Pas du tout. L’inventeur de cette idée est le député de la Sarthe Damien Pichereau, estampillé – mais est-ce la peine de le préciser ? - La République en marche. Une idée lancée comme ça, dans la chaleur du débat ? Non. À la buvette, alors, histoire de rigoler entre collègues ? Non plus. Et il faudrait vérifier, mais elle doit être encore fermée comme les bistrots et cafés de France et de Navarre. Non, une idée couchée sur papier timbré (comme son auteur ?), adressée à Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique, en date du 18 mai. Je le cite : « Je tiens à vous faire part d’une idée qui a été émise lors de ce débat [débat organisé par ledit député probablement dans sa circo] et qui me paraît tout à fait pertinente. Il semble judicieux de coupler l’utilisation de l’application StopCovid à une contrepartie, comme par exemple une légère baisse des restrictions en cette période de sortie du confinement (on peut, notamment, penser à une augmentation du périmètre de déplacement de 100 km à 150 km)… » Une sorte de geste commercial, si vous voulez, en échange d'un geste citoyen. Entre parenthèses : la mesure des 100 km va durer encore longtemps ?

Rassurez-vous, le secrétaire d’État a envoyé bouler le Sarthois qui pourra retourner dans l’anonymat dont il n’aurait jamais dû sortir. « Cédric O défend le volontariat, le libre arbitre. Cette proposition n’entre pas dans ce cadre et ne sera pas retenue », a annoncé son cabinet. Traduire : « Bon, la prochaine fois, tes idées à la c…, tu les gardes pour toi. » Le député a fait son mea culpa, certes, en demi-teinte : « Si cette idée, issue d’un débat citoyen, se révèle être une fausse bonne idée, je me réjouis de voir toutes les réactions qu’elle a engendrées, car c’est là toute la force du débat, et c’est par la confrontation d’idées que nous ferons avancer notre pays. »

Pas certain, en tout cas, que de telles idées fassent avancer la liberté ! Car, au fond, ce qui est le plus inquiétant, c’est qu’un élu de la nation, aujourd’hui, en France, puisse imaginer très sérieusement qu’une liberté fondamentale, comme celle d’aller et venir, puisse, en quelque sorte, se marchander. La semaine dernière, dans L’Express, l’écrivain François Sureau déclarait : « Nous méditerons encore longtemps sur la facilité avec laquelle un pays entier s’est laissé assigner à résidence sur la base d’une crainte, et sans débat d’aucune sorte… » Effectivement, il y a de quoi méditer. À méditer, aussi : la facilité avec laquelle on peut imaginer de fausses bonnes idées, c'est-à-dire des idées à la c...

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 03/06/2020 à 18:17.

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27 mai 2020 à 16:33

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