C’est souvent quand on veut trop bien faire que tout s’en va en quenouille. La preuve par la journaliste Zineb Dryef, ancienne de Rue89, dans le supplément dominical du Monde, qui signe un portrait d’Assa Traoré, qui est à peu près à Angela Davis ce qu’Henri Salvador fut à James Brown. Et c’est ainsi qu’à vouloir tout démontrer, c’est parfois à l’effet contraire qu’on aboutit.

Naguère, c’étaient les héros et les saints que célébrait l’imaginaire collectif. Aujourd’hui, l’heure serait plutôt aux victimes et à leurs souffrances, réelles comme imaginaires : « J’ai raison parce que j’ai souffert et plus que toi, tant qu’à faire », tel est le bréviaire.

Assa Traoré, donc, que Zineb Dryef tente de nous dépeindre telle une Cosette des temps modernes, alors que son parcours relève finalement plus de la méritocratie républicaine à l’ancienne : tout d’abord éducatrice, elle travaille ensuite au sein de la fondation OPEJ, fondée par le baron Edmond de Rothschild, anciennement Œuvre de protection des enfants juifs, ce qui fait toujours mieux sur une carte de visite que de faire serveuse au kebab du coin.

Cet épisode, Zineb Dryef le passe sous silence, préférant laisser Assa Traoré stigmatiser les journalistes de Valeurs actuelles ayant révélé l’affaire : « On est attaqués, mais on s’y attendait. On n’a plus besoin de parler, ils font le boulot, ils se révèlent racistes. » Tout comme elle oublie le passif judiciaire d'un certain nombre des membres de la nombreuse fratrie Traoré ; passif dont l’énoncé pourrait emplir un Bottin entier. Encore du racisme, on imagine…

À peine plus convenue est la suite : « Maîtriser le récit. C’est ce conseil que lui donne dès les premiers temps Samir Elyes, militant historique du MIB. » Mouvement de l’immigration de la banlieue, fondé en 1995 et matrice racialo-gauchiste des actuels indigénistes, visant à fédérer des luttes fantasmées contre des adversaires plus ou moins imaginaires.

Zineb Dryef : « Dès ses débuts, le comité Adama a dans l’idée de nouer des alliances [Nous y voilà, NDLR] Avec les familles de victimes de violences policières, bien sûr, mais aussi avec des étudiants précaires, des militants pour le climat, des bobos, des jeunes des quartiers, des militants LGBT, des afro-féministes et, plus tard, des “gilets jaunes”. » Youcef Brakni, un autre de ses mentors, gravitant entre trotskisme et salafisme, lâche même le morceau en affirmant au Monde : « On capitalise sur l’image pour capter l’attention. On ne fait aucun déplacement sans photographe professionnel et sans cameraman. » Sans journalistes non plus, pourrait-on ajouter. Mieux, nous apprend Zineb Dryef : « Aucun soutien n’est négligé. Bientôt, elle doit rencontrer des influences lifestyle. » N’en jetez plus.

Mais pour donner corps à ce storytelling, encore faut-il assener des arguments susceptibles de parler au cœur de ceux qui rejouent le Vercors à la terrasse des cafés de Bastille. Si Adama Traoré est mort accidentellement lors d’un contrôle, c’est donc parce qu’il était noir et que l’État français et ses policiers seraient structurellement racistes. Deux des gendarmes incriminés étaient eux aussi noirs ? Peu importe. C’est beau comme du Joe Biden, le challenger démocrate de Donald Trump, qui a récemment déclaré : « Un Noir n’est pas noir s’il vote Trump. »

Il y aurait donc de « vrais » et de « faux » Noirs. Mais qui décrète qui est l’un ou qui est l’autre ? D’autres Noirs, semble-t-il. Mais sont-ils « faux » ou « vrais », ceux-là ? Le fait que le comité Traoré puisse emprunter à ce vocabulaire américain n’a rien d’anodin. Ainsi, la nouvelle Antigone vient-elle de recevoir le Global Good Award 2020, décerné par la chaîne américaine Black Entertainment Television, pour son « action en faveur de la communauté noire mondiale ».

Et Assa Traoré de répéter en boucle, en guise d’argument ultime : « Mon petit-frère, Adama Traoré, a été tué par les gendarmes le jour de son anniversaire. »

Parce que si le drame était survenu le jour de l’An, ça aurait été moins grave ?

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03 juillet 2020 à 23:22

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