Ça valse à gauche : comment se dépêtrer du cas Bertrand Blier ?

Ce mercredi, le metteur en scène Bertrand Blier avait les honneurs de l’église Saint-Roch, à Paris, là où ont traditionnellement lieu les funérailles des acteurs. L’occasion, pour le père Laurent Chauvin, aumônier des artistes du spectacle, d’emprunter ce mot d’auteur au défunt : « On n’est pas bien, là, paisibles, à la fraîche, décontractés de l’esprit. Et on croira quand on aura envie de croire. » La foule, bien maigre (à peine plus de deux cents personnes), qui connaît évidemment ses classiques, ne peut que songer à cette fameuse réplique issue des Valseuses (1974), même si livrée ici avec quelques aménagements, la version originale faisant état de décontractés « du gland ».
Et notre prêtre d’évoquer la mémoire de ce « boutefeu goguenard du cinéma français, homme du verbe et trublion de la culture ». Comme portrait craché, on a vu plus mal troussé. Bref, l’humour n’est pas absent du discours, alors que Gérard Depardieu était « absent dans tous les esprits » et surtout de la cérémonie, à en croire Paris Match.
À croire que la grande famille du cinéma français puisse faire preuve de moins de grâce que cet estimable abbé. Il est vrai que la carrière de Bertrand Blier n’a jamais laissé personne indifférent, tel qu’en témoigne la polémique suscitée par la sortie de ces mêmes Valseuses. Jean Domarchi, de la très snob revue Écran, y voit « un film authentiquement nazi », tandis que Jean Baroncelli, du Monde, joue en retrait, se contentant de ce très prudent commentaire : « Un film en forme de bourrasque auquel on ne résiste pas. » Et la presse de droite ? Interrogé par nos soins, Michel Marmin, longtemps critique cinéma de Valeurs actuelles, se souvient : « J’avais aimé le film. Mais il était de ceux, telle La Grande bouffe (1973), qui n’étaient alors pas toujours faciles à défendre dans la presse de droite. Pourtant, ce film de Marco Ferreri était une assez belle allégorie de la société de consommation qui, justement, aurait pu plaire aux lecteurs de droite à l’ancienne… » Et de conclure : « Je crois que Bertrand Blier a toujours été un grand incompris. Je crains même qu’il n’ait jamais été compris du tout. » Pas faux.
Avec le recul, Éric Neuhoff, qui n’est pas précisément un gauchiste acharné, écrit, dans Le Figaro, pour le cinquantenaire du film : « La critique éructa. Bertrand Blier fut accusé de tous les péchés, misogynie, sexisme, grossièreté. Le film avait un rythme, un ton qui n’étaient qu’à lui. En le revoyant, on y découvre une mélancolie camouflée sous l’argot, un désespoir qui n’ose pas dire son nom. Il s’agit d’un Orange mécanique version rigolarde […] Depuis, Dewaere est mort, Depardieu est au bout du rouleau. Blier ne tourne plus. Les beaufs avaient du talent, dans les années 1970. »
Après, on ne saura jamais si le défunt était de gauche ou de droite. Mais au moins, un fait est avéré : il ne se prenait pas au sérieux. Ainsi, quand le livre éponyme sort, quelques années avant le film, Minute y voit « un tombereau d’immondices », il se sert de ces quelques mots au lieu de porter plainte contre cet hebdomadaire. À l’époque, les rebelles ne se plaignaient pas ; ils assumaient et, surtout, se marraient.
Voilà pourquoi, aujourd’hui, Bertrand Blier cause bien plus de malaise chez cette gauche cléricale qu’en cette droite buissonnière. La preuve par Olivier Maulin, écrivain délicieusement réactionnaire. Ce chroniqueur littéraire à Valeurs actuelles est un grand fan du cinéaste en général, et des Valseuses en particulier. À gauche, en revanche, le malaise est persistant. Car bon an mal an, et peut-être à leur corps défendant, l’homme est aussi, un peu, leur créature. Celle du jouir sans entraves et du grand chambardement de Mai 68. Sauf que, voilà, Bertrand Blier entendait ne pas être un peine-à-jouir, chambardant à son aise les convenances d’alors, celles du conservatisme catholique, mais aussi du MLF. Il n’avait pas pu prévoir que ceux qui jetaient alors leur gourme allaient devenir les plus frileux des bourgeois, prompts à rougir du moindre « dérapage ». Un peu comme ces vieilles tantes à moustaches qui, jadis, frémissaient d’honneur pour peu qu’on ait prononcé le mot de Cambronne lors du déjeuner dominical. Comme quoi les plus coincés ne sont désormais pas forcément ceux que l’on croirait.
Là où il est, nul doute que Bertrand Blier savoure la chose. Et, histoire de mettre tout le monde d’accord, rappelons que la musique des Valseuses, signée de l’immense Stéphane Grappelli, est tout simplement sublime.

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16 commentaires
Pour moi, c’était un anarchiste de droite.
J’étais jeune en 74 et j’ai aimé voir Isabelle Huppert, qui avait 19 ans, en petite tenue –et c’est un euphémisme– dans Les Valseuses. Je crois que je n’y ai vu que ça –question d’hormones. Par contre, Tenue de soirée, Buffet froid, m’ont laissé de glace. Je m’y suis ennuyé au point de partir avant la fin.
Bertrand Blier était comme son père un drôle de bonhomme, mais que tout le monde aimait bien… mais fallait pas le dire.
Je suis bien incapable de juger un cinéaste, je n’en ai absolument pas la compétence. Ce que je sais en revanche, c’est que je n’ai jamais aimé « Les Valseuses ». Qu’il y ait un réel fond dans ce que dit le film sur la société dite de consommation, peut-être. Mais sans être bégueule, la forme, me mettait mal à l’aise et c’est toujours le cas aujourd’hui. Ce film ne m’a jamais plu. Mais mon opinion vaut ce qu’elle vaut, rien de plus.
Un film éminemment vulgaire et violent : les prémices du wokisme qui suivra…
Je confirme : votre opinion vaut ce qu’elle vaut, rien de plus.
Je me rappelle être allé voir les valseuses peu après sa sortie avec mon meilleur copain. On était alors deux galopins d »une quinzaine d’années travaillés par notre sexualité turgescente au diapason de celle que montrait le film. On avait pas mal rigolé mais aussi été parfois choqués par la gravité de certaines scènes qui nous montraient l’évidence de la dimension tragique du sexe qui peut renvoyer chacun à sa propre solitude : le suicide de Jeanne Moreau, la fugue d’Isabelle Huppert, le ménage à trois au début du film. Dans le cinéma quasi désert, il y avait derrière nous une dame d’âge mur qui a rigolé tout au long du film. Ses rires à l’unisson des nôtres nous ont fait ressentir la dimension universelle et transgénérationnelle de ce film qui montre l’humain dans sa vérité avec une grande économie de jugement bien loin du cinéma militant subventionné d’aujourd’hui que je ne vais plus voir.
La gauche « bien pensante » ? Ne sont-ce pas les anciennes péripatéticiennes ayant usé leurs semelles sur les trottoirs de Pigalle qui, l’âge venu, retournent dans leurs village natal et deviennent les « dames patronesses » les plus vertueuses, faisant le catéchisme aux bambins et ne leur passant rien s’ils font la moindre allusion à ce qui les ont fait vivre et qui demange les adolescents boutonneux ?
Désolé mais pour le coup je ne serai pas d’accord avec Nicolas Gauthier. Les valseuses est un film totalement vulgaire et obscène, Depardieu et Dewaere n’incarnent pas des beaufs mais plutôt des loubards. Il me semble que ce film était très décrié à sa sortie mais que les jeunes d’alors (les boomers d’aujourd’hui) se sont empressés d’aller le voir. C’était l’incarnation d’un certain progressisme. Qu’aujourd’hui les plus anciens se montrent réactionnaires pour soutenir ce film, c’est simplement le fait que d’une part, le néoféminisme d’un côté est en porte-à-faux de ce concept des valseuses, et que de l’autre, la jeunesse patriote considère que cette œuvre de Bertrand Blier appartient à une époque révolue mais surtout qui n’est pas l’héritage de notre société millénaire et qui restera une simple parenthèse dans notre histoire.
Qui eut cru que des gens classés à droite ou pire encore , réactionnaires, défendent aujourd’hui le bilan cinématographique d’un Bertrand Blier . Vous rappelez fort à propos qu’il fût de ceux qui n’avaient retenu de mai 68 que le « jouir sans entrave » et si il n’y avait quelque chose à défendre de cette période , ce ne serait pas les maoïstes et les Cohn Bendit qui se sont fort bien accommodés de leur statuts de nouveaux bourgeois même si par le discours ils voudraient faire croire le contraire.
Ces mêmes post soixante huitards qui ont permis l’accession au pouvoir en 1981 d’un autre bourgeois qu’était François Mitterrand.
Les censeurs aujourd’hui se trouvent à gauche et sont très procéduriers,ceci avec le concours , il faut bien le dire , d’une magistrature prête à répondre à toutes leurs exigences .
De fait nous sommes passés de la dictature du prolétariat au pouvoir des juges, souvent de gauche s’appuyant sur des lois édictées par cette même gauche .
La morale bourgeoise est devenue la bienpensance d’une gauche frileuse et embourgeoisée. Du coup je vais revoir ce film » les valseuses » à côté duquel j’étais passé. En plus si la musique est bonne …
Vrai.
Très belle B.O., en effet, qui donne envie de revoir le film. Toute une époque…
C’est maladif de vouloir toujours classer politiquement les gens soit à droite, soit à gauche. Classons simplement Bertrand Blier parmi les gens de cinéma : il était un grand metteur en scène. Point Final !
@Eddy
Maladif, vraiment ?
Si la Gauche n’était pas aussi envahissante, que ce soit dans ses propos ou ses actes, si le cinéma actuel n’était pas une propagande quasi permanente, si le monde du cinéma de gauche ne pourrissait pas toutes les cérémonies dédiées au Septième Art, alors nous ne resentirions pas la nécessité de faire le tri.
Tout à fait !
Bien dit.