Bug informatique à la SNCF, ou quand notre société bugue…

Nous sommes décidément devenus des petites choses fragiles. Chaque jour, TGV, TER, RER transportent des millions de voyageurs - une sorte de miracle quotidien. Mais comme chacun sait, les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne, et surtout pas les journalistes.

Ce dimanche dernier, donc, gros bug informatique gare Montparnasse, à Paris. Du coup, des milliers de gens se retrouvent en carafe ; la plupart anonymes, d’autres non, tel l’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. D’où ce tweet : "Bloqué à Paris Gare Montparnasse comme des milliers de voyageurs… que se passe-t-il ?" Ben, rien, mon brave… Si ce n’est la même chose qu’il y a quatre mois, dans la même gare.

Immédiatement, la cellule de soutien psychologique se met en place. Élisabeth Borne, ministre des Transports, assure que tout ceci est "inacceptable" tout en exprimant "toute sa solidarité envers les voyageurs impactés". « Inacceptable » ? Il a bien fallu accepter d’attendre que les agents de la SNCF réparent le bidule, afin que le trafic puisse reprendre correctement. « Solidarité » ? À ce qu’on sait, les « voyageurs impactés » ont juste perdu du temps, éventuellement leur correspondance, et non point leur maison ou leur vie, à l’instar des victimes d’attentats ou d’inondations. Inflation du langage et enflure des bons sentiments, comme toujours.

En revanche, ce genre de faits divers est souvent fort révélateur de l’époque et des mentalités.

Il y a d’abord la croyance aveugle en la toute-puissance technologique. Comme si l’informatique était à même de tout résoudre, comme si les algorithmes pouvaient à coup sûr remplacer les êtres humains. Car, à propos de logiciel farceur, on a connu bien pire avec le fameux LOUVOIS, censé gérer les payes de nos soldats, avec les brillants résultats que l’on sait. Dans le cas des transports en commun, sans vouloir revenir à l’époque du poinçonneur des Lilas ou à celle de Clément Ader et de son aéroplane en forme de chauve-souris, est-il bien raisonnable que l’homme se repose entièrement sur la machine ? Ainsi, est-il licite de douter du capital confiance de l’avion sans pilote, fût-il techniquement au point, tel qu’on nous l’affirme sans rire.

Ensuite, il y a l’état du réseau ferré qui en dit également beaucoup sur celui de notre société. Des trains pour riches, flambant neufs, qui permettent d’aller sans cesse plus vite, histoire de gagner du temps. Du temps pour quoi faire ? La question mériterait d’être posée.

Et, de l’autre, des lignes vieillissantes qui ne dépareilleraient pas au Zimbabwe : celles des pauvres condamnés, eux, à perdre du temps, pas seulement le dimanche, mais tous les autres jours de la semaine, entre retards chroniques et avaries à répétition, sur le chemin d’un lieu de travail où ils sont pourtant censés arriver à l’heure. Il y a là deux France, comme il y avait naguère deux classes dans le Métropolitain : celle des voies express et celle des voies de garage.

Pour les uns, la belle vie ; pour les autres, la vie duraille, en quelque sorte.

PS : les agents des transports publics déploient de louables efforts pour tenir leurs passagers au courant des aléas divers, ce, à grands coups d’annonces diffusées dans les gares et sur les quais. Mais ne pourraient-ils pas y affecter des hommes et des femmes capables d’articuler autrement qu’en moldo-valaque et investir dans une sonorisation qui ne soit pas celle du camping de Tonguafleur ? Il est probable que tout le monde y gagnerait.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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