Avocats : la mort programmée…
Éric Dupond-Moretti a affirmé, sur le plateau d'« On n’est pas couché », que son métier d’avocat pénaliste était en train de mourir.
Excessif ? Théâtral, comme à son habitude ? Non, tout simplement réaliste. Dramatiquement vrai.
On peut élargir le propos au fonctionnement général de la Justice ainsi qu’au rôle de l’oralité dans notre société.
Le fonctionnement de l’institution judiciaire, qu’elle soit pénale ou civile, vient de subir un assaut redoutable sous prétexte de lutte contre le Covid-19. Les mesures sanitaires ont été un cheval de Troie pour ceux qui veulent automatiser notre Justice, la rendre « efficace », la réduire à une simple administration des choses et des justiciables, la soumettre à la loi des nombres. Tous les domaines sont concernés, mais il faut avouer que le pénal est une victime emblématique et inattendue !
Ce que, depuis des années, aucun fonctionnaire ni aucun ministre n’était parvenu à faire, le virus l’a fait en un tour de main. Suppression des audiences. Procédure écrite. Numérisation. Tout y est ! L’occasion a fait le larron. Le ministère s’est empressé de sortir les projets qui, jusque-là, étaient restés dans des cartons. Nos penseurs de la Justice de demain en ont même profité pour commencer à mettre en place les algorithmes de traitement de certaines affaires. Demain, ce sera, pour les crimes, la suppression des jurys populaires qui étaient dans le collimateur de nos technocrates depuis belle lurette !
Plus généralement, c’est le mode de fonctionnement personnel et humain de la Justice qui est en cause. Il suffit déjà de voir que, dans le nouveau palais de justice de Paris, il fut aménagé avant le confinement, les avocats n’ont plus le droit d’accéder où ils veulent. Certains bureaux leur sont interdits. Ils sont, comme le public, astreints aux badges et aux contrôles, alors qu’autrefois, ils étaient chez eux partout !
Progressivement, l’avocat n’aura plus le droit de venir au palais que pour y déposer ses dossiers dans des bacs impersonnels avant qu’on ne lui impose de les adresser par télétransmission. Bientôt, il ne pourra plus rencontrer ni juges ni greffiers. On ne doit pas déranger les magistrats qui gèrent leurs stocks de dossiers et doivent restituer des statistiques exemplaires alors qu’en « haut lieu » on se moque du contenu de leurs jugements !
L’efficacité commande la distance de la même manière que les préoccupations sanitaires qui auront servi de prétexte expérimental. Le robot est propre, lui ! Il ne propage pas le virus. Il a toutes les qualités et les défauts d’un vecteur anonyme et impersonnel. Or, notre monde très humain est imparfait. C’est bien pour cela que le virus peut s’y diffuser et que la justice a besoin d’y être rendue.
Nous vivons dans une société qui ne veut plus du risque de l’humain, de la confrontation entre les personnes. Principe de précaution oblige… dans tous les domaines ! Or, la Justice est le lieu de l’humain avec ses excès, ses délits, ses crimes, ses dérives mais aussi son sens de la restitution, de l’équilibre, de l’équité et du droit.
Dans le monde de l’exactitude et du prévisible, la mort de l’avocat résultera de l’évacuation progressive du verbe et de son efficacité redoutée, de la suppression du risque du verbe indomptable que cet auxiliaire de Justice est censé manier avec savoir-faire, voire parfois avec talent.
Si Bernanos put écrire que le monde moderne est une conspiration contre toute vie spirituelle, il aurait pu ajouter contre toute forme d’échange personnel et d’oralité vraie. Or, le verbe est indissociable de la justice comme de l’humain.
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