Quand les anglicismes et la culture managériale règnent au sommet de l’État

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Souvenez-vous : en 1964, René Étiemble publiait son essai Parlez-vous franglais ?, qui devint rapidement un best-seller – pardon : qui obtint un grand succès de librairie. En 1994, la loi Toubon chercha à protéger le patrimoine linguistique français. Deux ans plus tard fut créée la Commission générale de terminologie et de néologie, devenue, en 2015, la Commission d'enrichissement de la langue française : chargée d’accroître le vocabulaire spécialisé, favoriser l’utilisation de la langue française et participer au développement de la francophonie.

Voilà de bonnes initiatives ! L’État protège la langue française de l’invasion de l’anglais dans tous les secteurs d’activité. Nous ne parlons pas des emprunts qui peuvent enrichir le lexique – le mot "spleen" n’a pas d’exact équivalent – mais des abus gratuits. Comme CNews, anciennement dénommé i>Télé, ou, sur BFM TV, l’émission « News et compagnie » de Nathalie Levy. On pourrait citer bien d’autres exemples. Il ne faut pas s’alarmer : l’État veille !

Ou, plutôt, il est censé veiller. Car, dans la pratique, les anglicismes poursuivent leur conquête. Le lexique (le wording) managérial anglais envahit notamment la sphère publique. On a connu récemment les séances de "team building" et de "coworking" auxquelles ont été conviés les députés de La République en marche. Mais c’est tout l’État, le président de la République, le gouvernement, les ministres et leur cabinet qui sont atteints par la contagion. Ils ne savent plus s’exprimer sans ce vocabulaire et visent tous le "top down".

C’est, sans doute, une forme de snobisme, une façon de paraître moderne, dynamique et dans le coup. Pas comme ces Français "fainéants" ou "illettrés" dont Emmanuel Macron dénonce l’immobilisme. Mais ce phénomène illustre aussi – et c’est plus grave – une tendance à considérer la France comme une entreprise et à reconnaître la suprématie des valeurs anglo-saxonnes. En outre, il caractérise l’électorat auquel le gouvernement s’adresse prioritairement.

Le politologue Jérôme Sainte-Marie explique que "la catégorie qui soutient encore le plus Emmanuel Macron est celle des cadres supérieurs. On est dans l’univers des managers, de ceux qui dirigent, qui sont dans l’idéologie de l’efficacité et de la communication." Est-ce le meilleur moyen d’unir les Français autour d’un objectif qui donne envie d’aller de l’avant ? On peut en douter. Même dans les entreprises, on a besoin d’autre chose que cette obsession de la performance.

Emmanuel Macron fait la leçon à Donald Trump ou à Theresa May, mais il s’incline devant les méthodes anglo-saxonnes et met l’argent au centre de sa politique. Le projet de loi de finances 2018 montre à quel point il se préoccupe d’abord des plus fortunés, qui peuvent investir en Bourse, et dédaigne les petits épargnants et, plus encore, ces parasites de retraités. Il a le cœur sec des adorateurs de Mammon, qui est aussi le père du mensonge et de la cupidité.

Pendant que j’écris ces lignes, il signe, devant les caméras, les cinq ordonnances réformant le Code du travail. Quoi qu’on pense de leur contenu, cette mise en scène rappelle Trump signant, dans son Bureau ovale, le premier décret contre la loi "Obamacare". Pour montrer qu’il est le plus fort !

"Sorry !", Monsieur le Président, mais se soumettre à la finance est plutôt un signe de servitude !

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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