Amélie Nothomb à « La Grande Librairie » : jusqu’à plus soif

Amélie Nothomb

Ce jeudi, à « La Grande Librairie », Amélie Nothomb présentait son dernier opus : Soif. La dame au chapeau noir y écrit à la première personne en prenant la place de Jésus. C’est son droit le plus strict : il n’y a là aucun « blasphème » ! Sauf qu’on attendait du lourd et même du très lourd. Le maître de maison, lui, avait annoncé du pétillant. On ne fut pas déçu. La dame, accoudée au bec de zinc du café du commerce, nous délivra une image de son Jésus commercialisable.

Les films nous avaient fait le coup de l’amour avec Madeleine. Le corps et le sexe, comment y couper ? Mais la crucifixion, à ce point vécue de l’intérieur, ça manquait à l’univers de Nothomb. Comme le dit une invitée, Dieu ne connaît rien à l’amour mais le Christ, oui, qui, non seulement a couché avec Marie-Madeleine, mais lui a fait l’amour, ce qui est la moindre des choses. Mieux : pour ces dames sans chapeau, le Christ serait même un jouisseur invétéré. Était-ce pousser loin le bouchon, quand on sait que Marie elle-même, aux Noces de Cana, était « pompette » ? Et puis, tout le monde le sait, jouir sur la croix est une évidence. Amélie a de solides sources théologiques. Ça s’est bien vu au témoin qu’on n’attendait pas : Judas, l’ami qu’on voit sans arrêt (?) dans les Évangiles. Quant au péché... Mais c’est faux ! Le visage crispé de la dame en était la preuve irréfutable. On comprit enfin que, si son Jésus avait donné du fil à retordre à l’écrivaine, en son dernier avatar de sacré tombeur de femmes, « d’Ulysse en mieux », le must du Christ fut de se pardonner à lui-même, au moment ultime, de s’être fait crucifier « pour rien » d’autre que pour notre malheur : le tourment infini d’Amélie Nothomb et le bonheur des lecteurs de Soif. Ne serait-ce que pour ça, la crucifixion valait le coup.

En écoutant la dame au chapeau noir divaguer sur le Christ, je pensais au rôle des accessoires au théâtre et dans la littérature. Du chapeau vert de Ces dames aux chapeaux verts au Chapeau de paille d’Italie, à la Fille au chapeau rouge de Vermeer, dont l’authenticité est contestée, à la pipe de Maigret et à la casquette de Charles Bovary qui signe d’entrée le personnage. Passé un certain temps, un accessoire connote sans pitié. Je pensais également aux écrivains qui formèrent des générations : Lucrèce, Pascal, Dostoïevski, Malraux, le Camus de La Chute. En voyant les dames du plateau de « La Grande Librairie » autour de leur grande prêtresse, je me disais qu’on était loin de la culture, fût-elle en bouillon. Décidément, notre époque est tombée très bas.

Sur la couverture du Christ étonné de Daniel Pézeril, on voit un Crucifié, un bois du XIIe siècle, exprimant « l’indicible étonnement de pauvre…brûlant d’interrogation inattendue sur soi-même ». Une seule fois, dans les Évangiles, le mot « étonnement » est pris au sens de « tristesse. » Le livre est sous-titré L’Incognito de Dieu.

Marie-Hélène Verdier
Marie-Hélène Verdier
Agrégée de Lettres Classiques

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