L’Afghanistan ? Vingt ans de guerre, la plus longue jamais menée par les USA à l’étranger. Coût de l’opération ? Mille milliards de dollars, à en croire les estimations de la BBC. Bénéfice politique ? Zéro, l’humiliation s’ajoutant à une facture déjà plus que salée.

Vu d’ici, l’Afghanistan a souvent été considérée au prisme de Joseph Kessel et de son livre, Les Cavaliers, puis de cette photo, mille et une fois vue et revue, de jeunes Afghanes déambulant en mini-jupes dans les rues de Kaboul.

Ce romantisme dans lequel chacun trouvait son miel, progressiste et féministe, a longtemps fait figure de viatique pour les afghanologues de comptoir ; au rang desquels les analystes de la CIA, même si, dans les faits, leur politique demeurait autrement plus cynique. Car, liés qu’ils étaient avec les Saoudiens, les USA ont toujours plus aidé Gulbbudin Hekmatyar, sorte d’ancêtre des talibans, que Ahmad Chah Massoud, réputé pour prôner un islam un peu moins racorni, avant que Washington ne reconnaisse discrètement le régime des talibans, en 1998, en même temps que le Pakistan, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Les Chinois, évidemment moins sensibles à ces distinguos humanistes, savent bien que le véritable problème est ailleurs : Hekmatyar est un Pachtoun et Massoud un Tadjik, ethnie minoritaire qui, même en comptant sur le soutien aléatoire des Ouzbeks et des Hazaras, a toujours peiné à faire face à la principale ethnie du pays, ces mêmes Pachtouns traditionnellement soutenus par le Pakistan, nation faite de bric et de broc, mais appartenant principalement à la même ethnie. Résultat ? Ce réalisme permet donc à Pékin de lier, dès 2001 et même avant, de solides contacts avec les talibans pachtouns, sachant que si les considérations raciales sont de plus en plus mal vues à Washington - culture woke oblige -, la Chine n’en a globalement que faire.

D’où la visite officielle, ce mercredi 4 août, d’Abdul Ghani Baradar, envoyé spécial des talibans, parti rencontrer son homologue Wang Yi, ministre des Affaires étrangères chinois. Les deux hommes ont effectivement de quoi négocier. Le premier est fort d’un Afghanistan reconquis à près de 90 % ; le second, de juteux contrats signés il y a déjà longtemps. Entre hommes forts, l’un en devenir et l’autre indéboulonnable, il est toujours possible de négocier…

L’émissaire du prochain gouvernement afghan promet donc que son pays ne sera jamais zone de repli pour les indépendantistes islamistes ouighours, dans la zone frontalière du Xinjiang.

En échange, les contrats devraient continuer d’aller bon train, sachant que l’Afghanistan se trouve, au même titre que le Pakistan, sur les ancestrales routes de la soie. Ça tombe d’autant mieux que les talibans afghans n’ont rien à refuser à leurs puissants sponsors pakistanais. Mieux : si l’Afghanistan, pièce maîtresse du grand jeu diplomatique jadis théorisé par les Anglais, ne regorge pas de pétrole, il a encore mieux à offrir, tel que relevé par le JDD, ce dimanche dernier : « Les entrailles afghanes recèlent des trésors : minerai de fer, cuivre, molybdène, potasse, cobalt, or, argent, aluminium, lithium ou encore nobium, ainsi qu’un bon nombre de terres rares. » Soit une valeur de près de mille milliards de dollars, toujours selon la même source.

En matière de cynisme, les Américains ne sont jamais en retard d’un train. Mais les Chinois, eux, paraissent autrement plus forts à ce jeu, n’ayant que faire des aspirations sociétales de l’Occident et se contentant plus prosaïquement de pousser leurs pions. Brahma Chellaney, expert indien en géopolitique, ne peut donc que constater : « Le retrait des USA ouvre la voie à une Chine opportuniste capable d’incursions stratégiques en Afghanistan et vers le Pakistan, l’Iran et l’Asie centrale. »

Dans ce grand jeu planétaire, la Maison-Blanche est en voie d’effacement.

Et la diplomatie française, dans tout ça ? Parlons d’autre chose, on risquerait de s’énerver.

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04 août 2021 à 16:53

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