Abbé Henri Vallançon : « C’est parce que Dieu nous guide comme un père que le châtiment existe »

Christ en Croix Zurbaran

Cette année, et pour la première fois, pourrait-on dire, de l’histoire de l’Église, les catholiques se retrouvent privés d’offices de la Semaine sainte. Ils ne pourront pas « faire leurs Pâques » (confession, assistance à la messe, communion). C’est extrêmement perturbant. Non seulement pour eux mais pour le monde entier, même incroyant, sur lequel la religion catholique, qu’on le veuille ou non, rayonne depuis des siècles.

Certains d’entre eux veulent y voir sinon une punition, au moins une justice immanente pour un monde qui a oublié Dieu, en tout cas un signe à ne pas négliger. Partagez-vous cet avis ?

La plupart des modernes excluent radicalement l’idée que Dieu intervienne réellement dans l’histoire des hommes. Le kantisme s’est imposé en profondeur, philosophiquement, avec son idée d’une stricte séparation de deux sphères : celle des événements extérieurs et celle de la foi religieuse, à laquelle la personne humaine peut avoir recours a posteriori pour l’aider à interpréter et à vivre des événements en eux-mêmes neutres, dépourvus de signification religieuse.

La révélation biblique de Dieu montre, au contraire, que tous les événements de l’Histoire, les petits comme les grands, sont gouvernés par la divine Providence. La Bible raconte une histoire orientée par un dessein divin de salut et les réactions humaines devant les mœurs de Dieu. S’y exprime l’action de grâce mais aussi, souvent, l’incompréhension douloureuse.

Écarter la possibilité pour un événement d’être causé par Dieu, directement ou par l’intermédiaire de causalités secondes, réduit à rien les livres de Samuel et des Rois, le Psautier, Job, le livre de la Sagesse, les Actes des Apôtres, le livre de l’Apocalypse – autant dire toute la Sainte Écriture.

Et c’est justement parce que Dieu a voulu chaque être humain personnellement que rien ne lui est indifférent de nos affaires, qu’il nous guide comme un père, que le châtiment existe. Je préfère le mot « châtiment » au mot « punition », car le mot vient du latin castigare, qui signifie « purifier ». Quand Dieu nous châtie, c’est pour nous purifier. Il y a, là-dessus, un passage essentiel de la lettre aux Hébreux : « Mon fils, ne méprise pas la correction du Seigneur, ne te décourage pas quand il te reprend. Car le Seigneur corrige celui qu’il aime, il châtie tout fils qu’il accueille. C’est pour votre éducation que vous souffrez. C’est en fils que Dieu vous traite. Quel est, en effet, le fils que son père ne corrige pas ? Si vous êtes privés de la correction, dont tous ont leur part, alors vous êtes des bâtards et non des fils. Nous avons eu nos pères terrestres pour éducateurs, et nous nous en sommes bien trouvés ; n’allons-nous pas, à plus forte raison, nous soumettre au Père des esprits et recevoir de lui la vie ? Eux, en effet, c’était pour un temps, selon leurs impressions, qu’ils nous corrigeaient ; lui, c’est pour notre profit, en vue de nous communiquer sa sainteté. Toute correction, sur le moment, ne semble pas sujet de joie, mais de tristesse. Mais plus tard, elle produit chez ceux qu’elle a ainsi exercés un fruit de paix et de justice » (He 12,5-6). Je voudrais bien savoir comment les catholiques qui nient que l’épidémie présente soit un châtiment de Dieu s’arrangent avec de tels textes. Ils veulent fabriquer un christianisme amélioré selon leurs courtes idées, en évitant toutes les affirmations rebutantes. Ils inventent une image de Dieu qui leur paraît acceptable, agréable. Mais ce n’est plus le christianisme de la révélation biblique.

Le fait même de vivre ces événements pendant la commémoration de la Passion du Christ devrait nous aider à y voir clair : « Dieu n'a pas épargné son Fils unique, mais il l'a livré pour nous tous », écrit saint Paul (Romains 8,32). Si Dieu veut le sacrifice de son Fils pour notre rédemption, pourquoi ne peut-il pas positivement vouloir cette épidémie, pour nous sauver ? Donc, pour répondre à votre question, oui, l’épidémie en cours, avec ses conséquences inédites et spectaculaire sur la vie de l’Église, est voulu par la Sagesse divine. C’est un châtiment divin. Le nier est refuser le Dieu de la révélation biblique. Notre religion n’est pas une dévotion intimiste, c’est le règne souverain de Dieu sur toute la création.

Un décrochage de la pratique religieuse - déjà fragile - en dépit des efforts déployés pour mettre en place des outils numériques n’est-il pas à craindre ? Finalement, même les familles les plus catholiques se seront habituées aux dimanches sans messe, et aux décès sans derniers sacrements ni enterrements religieux…

« Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n'est pas digne de moi », dit Jésus (Mt 10,38). Vivre en chrétien, aujourd’hui particulièrement, nécessite des choix courageux en permanence, des renoncements, des sacrifices. Celui qui ne met pas la fidélité aux promesses de son baptême au fondement de tout ne peut pas être disciple du Christ. Il est vraisemblable, en effet, que ceux pour qui la décision de la pratique religieuse est incertaine, au contenu indéterminé, décrochent encore un peu plus de la vie de l’Église. Ce mouvement de détachement des demi-croyants est enclenché depuis longtemps. La crise actuelle le précipitera peut-être encore, mais cette fin d’un christianisme non dogmatique et sans obligation morale ne peut être qu'un bienfait !

Peut-on, malgré tout, espérer, à l’issue de cette pandémie, une guérison non seulement physique mais spirituelle et morale ?

Je vous répondrais volontiers avec cette pensée de Blaise Pascal : « Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. » Pour qu’une guérison spirituelle et morale se produise, il faudrait une prédication puissante d’appel à la conversion, pour aider les gens à déchiffrer le message que le Ciel nous adresse. Mais quand je vois le vide sidérant du discours de la plupart des autorités ecclésiastiques actuellement, je doute qu’un sursaut spirituel se produise. Sonner les cloches de toutes les églises pour « manifester notre fraternité et notre espoir commun », qu’est-ce que cela veut dire ? C’est totalement insignifiant. Le message du secrétariat de la Conférence des Évêques de France, après avoir appelé à l’unité nationale au nom du chef de l’État, en vient à diviser la population française en deux catégories : « tous les hommes » et « catholiques ». Et si nous disions que l’unité du genre humain n’est possible qu’en Jésus-Christ au lieu de chercher gentiment à ne froisser personne dans une unité républicaine supra-religieuse ?

Les prophètes bibliques et les saints de tous les temps appelaient tous les hommes haut et clair, en période de crise, à se convertir à Dieu de tout son cœur. C’est le meilleur service à rendre aujourd’hui à nos contemporains en souffrance.

Propos recueillis par Gabrielle Cluzel 

Henri Vallançon
Henri Vallançon
Bibliste Curé de paroisse

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